Drôles de
pâtisseries
Let's just say you may regret that second piece of cake.
La nuit a été agitée. En tant que gardien, plus espion ou mercenaire d’ailleurs que garant de l’ordre et la paix ou représentant de la loi, à l’image de notre bon leader Yoshino. J’ai dû m’infiltrer au sein d’un gang soupçonné d’utiliser leurs dons pour défigurer les gens – le bras droit du gang peut littéralement faire « fondre » les chairs et les tissus, comme sur des statues de cire –, afin d’en faire de bons sbires, et de mieux les racketter. Bref, une histoire super jolie, sur laquelle je bosse depuis quelques temps déjà : cela fait des mois que j’essaie de m’infiltrer parmi eux, de les convaincre que je suis la recrue idéale. Il y a une semaine, je suis parvenu à mes fins : on m’a proposé chaleureusement une place – faut dire qu’avec une gueule comme la mienne, un gajin de surcroit, je ne risque pas d’être refusé pour ce genre de job. Et cette nuit, j’ai assisté à une véritable scène de torture : le kidnapping puis la menace d’un acteur de talent, beaucoup trop attaché à son visage pour ne pas accéder aux demandes de ses ravisseurs – à savoir : son numéro de compte, de carte bancaire et tout ce qui va avec. Mais, tapi dans l’ombre, une cagoule sur la tête, j’ai pu enregistrer une vidéo compromettante, transmise ensuite au siège des Gardiens.
Cela fait, je suis rentrée chez moi à trois heures du matin, le temps de dormir deux heures avant de commencer le travail de préparation de la pâtisserie. Je manque cruellement de sommeil, et des cernes monstrueuses s’ajoutent petit à petit à mes balafres. Si ce n’est pas mon travail officieux qui me tue – ce qui est peu probable – le second s’en chargera. Heureusement, j’ai une assistante, mais elle ne peut pas se permettre de se lever si tôt pour accomplir tout le travail préparatoire.
Ainsi, à cinq heures du matin, c’est frais comme un gardon que je commence à préparer mes pâtisseries et mes gâteaux, seul en tête à tête avec mon four. L’odeur ne me dérange même plus, elle fait partie de moi, me colle à la peau. C’est relativement embêtant pour mes missions diverses, car je suis obligé de me laver deux fois avant chaque escapade nocturne.
Deux heures et demie plus tard, j’ouvre boutique. Il est huit heures trente, et certains étudiants ou salariés s’amassent déjà près de la vitre pour emporter leur petit déjeuner tout juste sorti du four avant d’entamer cette journée. En général, j’ai mes habitués, ma face de voyous dissuadant les p’tites vieilles de venir. Et c’est presque uniquement le bouche à oreille qui pousse mes clients à mettre un pieds dans ma pâtisserie. Pourtant, c’est pas comme si c’était compliqué de faire mieux et meilleur que les japonais, dans ce domaine. C’est pour cela que je peux me permettre d’augmenter les prix par rapport aux pâtisseries communes, d’autant plus que, sans me venter, la qualité est au rendez-vous. Et puis, il faut bien faire du bénéfice, dans la vie ! Cependant, je compte sur le nombre de client, et non la grandeur du prix, aussi mes gâteaux suédois maison sont toujours moins chers que les créations gastronomiques de mes camarades pâtissiers français, par exemple. Et meilleurs, cela va de soi !
La journée s’écoula ensuite comme toutes les autres, les grands moments de vente arrivant uniquement aux pauses du matin, du midi, de l’après-midi et à la débauche. Le four tourne en continu, ma boutique étant visiblement victime de son succès, pour pouvoir alimenter la vitrine du magasin.
C’est justement au moment de la fin des classes et du travail que débarquent plusieurs étudiants, dans un groupe peu homogène. Trois des quatre sont des clientes régulières, dont je connais la vie presque par cœur, à force de les écouter jacasser dans le magasin. Mais je ne les chasse pas, elles reprennent au moins une fois un gâteau et du chocolat chaud.
Celui qui arrive en même temps qu’elle, un étudiant aux cheveux corbeau, semble porter un masque d’insensibilité sur le visage, et se contente de scruter mon magasin dans les moindres détails. Encore un qui va me taper sur les nerfs, je le sens. Je réponds avec un sourire poli à ses salutations, et son attention se reporte sur moi. L’effet est immédiat. Je crois que rien ne me divertit plus que de voir la tête des clients se décomposer face à ma présence, dans cette ambiance totalement cosy et agréable, qui sent bon la cannelle et les fruits. Mon sourire s’agrandit.
Toutefois, la vision de mes créations leur cloue toujours le bec, les plongeant dans un silence admiratif. Je le vois hésiter, espérant qu’il prenne finalement plusieurs pâtisseries à la fois. Mais l’étudiant se retourne, et me demande mon avis. Chose à ne jamais faire, surtout face à moi, sans aucune formule de politesse.
— Je comprends votre hésitation, je commence en bougeant vers la vitrine, si je peux me permettre, la prinsesstårta, ou le « gâteau de princesse » est une icone de la culture suédoise, un gâteau composé de couches de génoise, de confiture de framboise, de crème pâtissière et de crème fouettée, le tout enveloppé d’une fine couverture de pâte d’amende.
D’un geste, je désigne les petits dômes de couleurs rose, bleu et vert, surmontés d’une rose en pâte d’amende, avant d’ajouter :
— Si toutefois vous cherchez quelque chose de plus léger, je vous recommande les Kannelbulles, ces petits pains enroulés ici, parfaits avec un chocolat chaud ou un café, ou encore la Hallengrotta aux framboises.
Pointant d’un doigt ganté les diverses pâtisseries, je fixe mon client avec un air de.
— Tout dépend de vos envies, en vérité.
Et du prix qu’il était prêt à mettre, la prinsesstårta étant un délice qui portait bien son nom.
Ft. Ayato Désolée pour le retard !