Qu'elle soit blanche ou d'un noir profond, qu'elle soit étoilée ou de pleine lune, la nuit est peuplée d'étranges créatures...
Qu'importe qu'on vive une journée ou un millénaire. Le temps a toujours raison de tout. Il ne fait aucune exception. Nul ne saurait courir assez vite pour le semer. Alors, pourquoi ne pas tout simplement s'asseoir et l'attendre ?
La lune était pleine, offrant généreusement sa douce lueur aux voyageurs nocturnes. Comme si elle désirait me charmer, la nuit avait choisi d'enfiler sa plus belle robe étoilée. Futile. Elle avait déjà conquit mon cœur alors même, que je n'étais pas encore certain d'en posséder un. Alors que mon regard ambré ne quittait plus le ciel nocturne, témoignant une sincère fidélité à la déesse nocturne, une brise glaciale venait effleurer avec timidité les mèches de mes cheveux d'ébènes, s'autorisant même l'audace de caresser mon visage. Toute cette mise en scène avait un certain parfum de nostalgie...
J'étais immobile, au centre de ce pont, depuis plusieurs heures déjà. Si la saison, l'hiver, se montrait particulièrement peu clémente, ne cessant de renouveler le sol neigeux dès qu'il daignait commencer à disparaître, je craignais que peu le froid. Ce n'était qu'un inconfort. Il n'était pas suffisant pour me terrasser et, j'étais presque certain d'être immunisé à toutes les maladies qui frappaient sans état âme tous les êtres naturels de ce monde... Ah, il est vrai que je n'ai rien de très naturel. J'avais longuement soupiré à cette idée, laissant un souffle chaud quittait mes lèvres.
Délaissant la beauté de la nuit, mon œil doré s'était porté vers l'horizon, apercevant presque l'extrémité du pont tant la lune se montrait courtoise. Soudainement, le décor neigeux et l'orée de forêt, dans lequel je me trouvais, s'étaient envolés, laissant place à l'aube d'un printemps appartenant à une autre époque, à un autre lieu, à un autre pont bien plus grand et bien plus ancien. La scène mythique, vieille de plusieurs siècles, se rejouait devant moi. J'incarnais à nouveau le moine guerrier au long manteau noir, celui que tous appelait l'enfant du démon. Autour de moi, sur les rambardes en bois du pont, une centaine de katana y avaient trouvés un fourreau forcé, leurs lames enfonçant dans le bois. Mes précieux trophées. Alors que je désespérais de trouver un adversaire digne de moi, ma patience n'étant plus que des chaînes retenant mon incommensurable férocité, le vent transporta une étrange mélodie jusqu'à mes oreilles. Insensible à toute art, ce son de flûte m'avait paru aussi agaçant que étranger. Mes yeux dorés braquaient vers la provenance du bruit, j'avais aperçu une fine silhouette se détachait lentement de la brume, progressant d'un pas certain sur le pont Gôjo à Kyōto, se dirigeant vers moi...
Soudainement et douloureusement, j'avais rejeté ces souvenirs de la période Heian, les laissant fuir la réalité où ils n'avaient plus leur place. J'étais de nouveau à notre époque, sur ce pont dans le parc Hayashi de Tokyo. Mon instinct ne me trompait jamais. Quelqu'un approchait et ce n'était pas Ushiwaka, celui qui avait été mon maître et mon seul et véritable ami. Cet homme était mort depuis bien longtemps... Mais, revenons à nos très chers moutons. Quelle vermine osait me déranger dans l'une de mes précieuses séances de nostalgie ? Qui allait rejoindre les morts cette nuit ?
L'homme était moyennement grand si on le compare aux hommes actuels. Rien qu'à sa silhouette, je savais qu'il n'était pas japonais. Cela s'était confirmé quand j'avais pu mieux distinguer ses traits, notamment sa peau colorée. Mon regard d'or s'était ensuite porté sur ses curieux vêtements avant, de se figer sur ce qu'il transportait sur le côté droit de sa ceinture. Un fourreau pourpre dont dépassé la garde d'un authentique sabre japonais. Finalement, je n'avais pas tant quitté la bonne vieille époque que ça... Autrefois, Ushiwaka m'avait infligé ma première défaite sur le pont Gôjo, brisant ma série de 999 victoires consécutives. Du moins, c'était ce que contée ma légende. En réalité, vous pouvez aisément retiré un chiffre. Et aujourd'hui, je me retrouvais à nouveau posté sur un pont, un homme d'arme me faisant face. Peut-être était-il temps de rejouer la légende de Benkei, le temps d'une 1000ème victoire...
- « Ton katana. Donnes-le moi ! » Ordonnais-je d'une voix sombre, fracassant le silence.
La solitude exaspère tant de monde et le monde, le solitaire.
967
J’ouvrai l’une de mes valises, découvrant une multitude d’arme blanche. Ça n’avait pas été une mince affaire de les ramener avec moi, mais j’avais un permis pour ça grâce à mon statut de chasseur de prime. Métier que j’avais perdu en m’enfermant dans cette ville. Cela ne m’empêchait pas de me sentir mieux en ayant quelques armes sur moi, sûrement était-ce dû à l’habitude de ces huit dernières années. Je refermai la valise après y avoir pris un poignard LINDER tactical vingt-et-un centimètre que je cachai aussitôt dans ma botte et un couteau de poche pour ma veste. Ça devrait suffire, ce n’était pas comme si je prévoyais d’aller m’amuser en boite de nuit. Je balayai la pièce du regard, m’arrêtant sur la fenêtre. Ouverte. Voilà une vieille habitude que je ferais mieux de corriger, surtout dans une ville comme celle-ci ! Je la fermai, jetant un œil à ce que l’éclairage nocturne me laissait voir ; rien de plus qu’une ville paisible. Qui aurait cru que là, dehors, se baladait des personnes aux pouvoirs incroyables avec une liberté bien différente de Londres ? Je n’avais pas été tant choqué que ça, je ne suis pas moi-même complètement humain et je ne le cachais pas vraiment. Difficile aurait été d'ignorer la couleur singulière de mes yeux, malgré mon maigre stratagème afin de passer cela pour une simple excentricité de ma part, qui ne collait - hélas ? - pas à ma personnalité. Sans compter le soit-disant tatouage qui se plaisait à se mouvoir librement sur mon bras, au prix de douleurs atroces.
Le japon ne m’avait jamais intéressé – et c’était toujours le cas, je n’étais pas venu en touriste. La seule chose que je connaissais qui s’en rapprochait était le kendo, un sport que j’avais pratiqué durant de longues années dans ma jeunesse et que j’avais arrêté suite à mon diplôme. J’avais quitté la maison et commencé ma carrière – si on peut appeler ça une carrière – de chasseur de prime ; je n’avais plus le temps pour le kendo ou tout autre loisir. Désormais, j’avais du temps libre, ou plutôt, je n’avais que ça. Je me souvenais des longs bâtons de bois avec lesquels nous nous entraînions au dojo et comme nous rêvions d’avoir un jour notre propre katana, contemplant à chaque début et fin de cours celui du « sensei », entreposé dans une vitrine pour notre plus grand plaisir. Il était temps pour moi d’en avoir un à mon tour.
Je sortis de la boutique d’arme, tout joyeux. J’avais acquis un magnifique katana dont le fourreau pourpre me plaisait particulièrement ! Je ne pouvais pas trouver mieux, j’en étais persuadé. J’avais repéré la boutique en arrivant mais, avec toutes mes bagages dans les bras, je n’avais pas pu y entrer. J’aurais préféré faire ça de journée mais… Qu’est-ce que j’allais faire, cloîtré dans l'appartement que je partageais avec Derek ? M’ennuyer comme jamais, c’était certain. Donc je décidai de faire mon repérage des lieux dès maintenant, quand bien même le soleil n’éclairait plus mon chemin. Je ne tenais jamais en place bien longtemps, il fallait que je m’occupe ou j’allais faire une syncope. Et je préférais mille fois la fraîcheur de l'hiver aux conversations infinies à sens unique de mon ami, resté à l'appartement. Ce fut donc en fredonnant, tapotant des doigts sur la garde de ma nouvelle arme, que j’errai en ville. Mon autre main était occupée à tripoter mon pendentif, un souvenir de mon père, puis mon regard accrocha la masse obscure vers laquelle je m’avançai, seulement éclairée d’une lumière pâle procurée par l’astre de la nuit. Une forêt ? En m'avançant davantage, je réalisai que ce n'était qu'un parc, mais je choisis tout de même de m'y enfoncer, quitte à m'y perdre.
Je suivis quelques sentiers, ne me demandant pas à un seul moment si j’arriverais à retrouver mon chemin car ça ne m’inquiétait pas le moins du monde. Si j’avais à dormir à la belle étoile, je le ferais, ce ne serait ni la première ni la dernière fois que ça m’arriverait. La couverture écarlate que j’avais, nouée à ma ceinture, me servirait une fois de plus. C’était bien pour ça qu’elle était là ! Avais-je prévu que je ne rentrerais pas ce soir ? Ou bien était-ce la lune qui me l’avait chuchoté ? Le coin de mes lèvres se souleva d’un maigre centimètre, amusé de ma pensée. Je n’étais pas fait pour la poésie, c’était un fait.
« Ton katana. Donnes-le moi ! » Ce fut un grondement qui me fit immédiatement penser à celui d’un orage. Perdu dans la contemplation de la lune, je n’avais pas remarqué que je n’étais plus seul sur ce sentier. Oh. Sur ce pont, en fait. Lentement, je tournai la tête dans la direction de la voix qui, j’en étais certain, m’avait interpellé. Je m’arrêtai pour le considérer à mon tour, imprimant dans mon esprit la vision qu’il m’offrait, quand bien même je me doutais que je l’oublierais bien assez vite. Un homme, plus grand que Derek – mon unique référence mais je le savais déjà grand alors celui-là… Des cheveux aussi sombres que la nuit, peut-être même davantage. Un seul œil, l’autre dissimulé sous un cache-œil, borgne ? Je notai mentalement chaque information. Ce regard était… vraiment particulier. Et ce doré m’était tout spécialement familier.
« Pourquoi le ferais-je ? » Le questionnai-je en première réponse. J’eus un imperceptible froncement de sourcil, pivotant de moitié dans sa direction au cas où il déciderait de me l’arracher et d’un petit mouvement du pouce, je poussai la lame hors de son fourreau de quelques centimètres, prêt à dégainer à tout moment. « Essayez de demander poliment, je reconsidérerais peut-être la question. »
Qu'elle soit blanche ou d'un noir profond, qu'elle soit étoilée ou de pleine lune, la nuit est peuplée d'étranges créatures...L'humain parlait. Ce qu'il disait devait probablement être très pertinent, mais j'en avais, en l'occurrence, absolument rien à faire. Ce qu'il pouvait raconter n'avait absolument aucun intérêt. Il y avait plus alléchant, à côté. Cet humain ne semblait pas se soumettre à mon pouvoir. Son corps ne tremblait pas. Ses jambes le portaient toujours. Il n'avait pas fui. Sa voix n'avait montré aucun signe évident de faiblesse. L'homme n'était pas prit d'assaut par la peur écrasante qu'inflige, en règle générale, mon aura de terreur à la plupart des êtres vivants. Ce don était le vestige de ma véritable apparence, celle d'une créature destructrice plus sombre que la nuit elle-même. Mais, pour une raison que j'ignore, certains êtres ignorent tout bonnement ce terrible pouvoir, me rabaissant au rang de simple humain. Nul doute possible, l'homme qui se tenait face à moi, prêt à dégainer son sabre pour assurer sa protection, était spécial. En presque un millénaire, je n'avais rencontré que très peu d'humains capables de me résister de la sorte... Et ces quelques curiosités de l'espèce humaine avaient toutes jouées un rôle majeur dans le tournant de mon existence.
Mon œil ambré décrocha enfin du fourreau du jeune homme, remontant lentement pour finalement se heurter au regard défiant de l'humain. J'en étais resté quelques secondes stupéfait. Ses prunelles étaient d'un jaune puissant et ambré, presque doré. C'était la première fois que je rencontrais un être dont les yeux, étaient comparables à mon unique œil valide... C'était si excitant ! D'abord, ce pont et cet épéiste nocturne forçaient mon cœur à se remémorait l'âge d'or, tout en imprégnant cet endroit d'une douce odeur de nostalgique. Puis, l'absence de peur de l'humain et ses orbes dorés, dont brillait un éclat de défi, éveillaient en moi une puissante adrénaline guerrière ! Je baignais dans un sentiment de joie, un bonheur sombre, macabre et parfaitement assumé. Quelqu'un allait mourir cette nuit.
Un vent glacial se leva soudain, secouant nos vêtements et nos cheveux, déposant des particules de neige sur nos silhouettes immobiles depuis plusieurs minutes déjà.
- « La légende raconte que Benkei n'a pu collectionner que 999 victoires consécutives sur le pont de Gojo à Kyoto durant la période Heian. En effet, ce brave aurait, contre toute attente, perdu son 1 000ème combat... Peux-tu imaginer, sa frustration ? De perdre en étant si proche d'un si vantard objectif ? » Je ne lui avais pas laissé le temps de répondre, ni même saisir le sens troublants de mes divagations. - « Non. Tu ne peux pas... » Terminais-je dans un sombre et menaçant murmure.
Un éclair noir.
J'avais subitement fondu sur ma proie. La lame de mon katana avait quittée, dans le même instant, son fourreau avec la vivacité d'un serpent pour se jeter impitoyablement sur l'humain. Dans un entrechoque métallique, l'homme aux yeux dorés avait paré ce coup mortel de sa lame. Un sourire carnassier étira mes lèvres. Le mortel usait de tous ses muscles pour contenir mon attaque, laissant nos deux lames se croisaient dans une compétition de force pure. Semblerait-il, que cet insolant humain soit bel et bien spécial. Mais qu'importe que ses reflex soient bons et que son tempérament soit celui d'un courageux. Il ne pouvait tout simplement pas gagner ! Comment pourrait-il rivaliser avec un maître du kenjutsu, pratiquant son art depuis plus de neuf cents ans ? Laissant mon unique œil valide toisait férocement l'une de ses orbes ambrés, j'avais laissé le tranchant de mon sabre glissait sur celui du katana de mon adversaire, vers le bas. Le grincement métallique résonnait comme les pleurs du sabre de l'humain.
Parfaitement conscient que je venais de créer une ouverte vers le haut, j'avais attendit que le regard du jeune homme trahisse sa prochaine attaque pour subitement faire un pas en arrière. Le contact de nos lames s'étaient brutalement rompu. La pointe de mon katana, tenu à l'horizontale, alla à la rencontre de la neige reposant sur les rambardes du pont, récupérant sur sa lame une légère poignet de cette poudreuse hivernal. En reculant ainsi, mon arme maintenue trop bas et trop vers la gauche pour protéger le côté droit de ma tête – lequel s'affichait comme étant mon évident point faible, étant borgne -, j'offrais à mon assaillant une occasion inespérée de m'occire. Naturellement, n'importe quel bretteur, qu'il soit remarquable ou honteux, sauterait sur cette chance.
Seulement, c'était juste ma façon de m'amuser. A défaut de trouver des adversaires à ma hauteur ou, susceptibles de me divertir rien qu'un peu, j'avais développé une étrange fascination pour les humains. J'aime contempler leur visage lorsqu'ils réalisent plein d'espoir que, peut-être, vivront-ils assez longtemps pour entrevoir demain ; apprivoiser leur colère, purement animal, lorsqu'ils œuvrent dans l'unique but de tuer afin de survivre à aujourd'hui et enfin, savourer ce très bref instant où leur visage se décompose, perdant à jamais son éclat, alors qu'ils rencontrent pour la toute première et dernière fois la dame qui accompagne le dernier crépuscule : la Mort.
Mais, n'avais-je pas dis que cet humain était spécial ? Si, deux fois. Ce gamin était plutôt tenace et motivé. Ainsi, dans ma grande bonté, je lui accordais un petit traitement de faveur.
Avec sauvagerie, la pointe de la lame de mon adversaire s'apprêtait à me transpercer le visage lorsque, dans un mouvement aussi bref qu'il fut imprévisible, j'avais envoyé la neige récoltée par mon sabre dans le visage du jeune homme. Ah, les jeunes ne savent définitivement pas faire attention aux détails, à leur environnement, mais surtout, ils ne détachent jamais leurs yeux de leurs rêves, oubliant ainsi de visualiser l'essentiel. Comme par exemple, l'entièreté de l'arme d'un assaillant ! Profitant que mon adversaire soit temporairement aveugle, j'avais pris un peu d'élan. Mon pied s'était abattu avec sadisme dans les côtes gauches de l'humain, l'envoyant violemment valsé contre les rambardes de bois du pont.
La solitude exaspère tant de monde et le monde, le solitaire.
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Cet homme était étrange de bien des manières. Qu’avait-il à me dévisager de la sorte ? S’il n’avait pas cet œil au coloris surnaturel, j’aurais pu penser qu’il était choqué de voir un homme à l’origine définitivement pas japonaise se balader dans le pays du soleil levant. On m’avait souvent dit que les japonais n’aimaient pas les étrangers, je ne saurais dire si c’était vrai ou non. Mais ce géant n’était peut-être pas lui-même japonais. Comment pourrais-je en reconnaître un ? Pour moi, tous les asiatiques ont la même figure. Seulement, celui-ci avait quelque chose d’inhumain. Cet orbe doré, cette voix sombre semblant appartenir à quelqu’un – quelque chose ? – d’autre… Et cette soif de combat si forte qu’elle en était presque palpable. Un humain était-il capable d’une telle férocité ? Dans ma courte vie, j’en ai vu, des gens différents, mais des comme ça, jamais. Au moment où je me demandais s’il comptait rester longtemps à me fixer, ses lèvres s’ouvrirent. Quel charabia me contait-il ? J’arquai légèrement un sourcil, intrigué par la folie de l’homme, cherchant à comprendre s’il y avait un sens particulier derrière ses paroles. Malgré sa soudaine envie de discuter – ou de monologuer -, je n’avais pas baissé ma garde… A juste titre. J’eus à peine le temps de sortir mon sabre pour parer, l’attaque avait été d’une rapidité impressionnante ! Je tins mon arme à deux mains, essayant de le repousser, plutôt en vain j’en avais peur. Quelle force… N’étant moi-même pas faible du tout, j’étais obligé de reconnaître qu’il était incroyable. Mais, dans la situation actuelle, ça ne pouvait que poser problème.
… Hum ?
Impossible de le rater, il s’amusait avec moi. Je n’aimais pas beaucoup ça, cette sensation d’être pris au piège, comme étendu au milieu d’une toile d’araignée n’attendant plus qu’être dévoré par celle-ci. Il jouait juste avec moi. C’était indubitablement pour cette raison qu’il m’offrait ces ouvertures. Il était évident, en constatant ses capacités hors-norme, qu’il ne pouvait pas être assez stupide pour me laisser l’attaquer et le blesser. J’étais toutefois intrigué, suffisamment pour poursuivre dans son sens plutôt que de me retirer. Sans doute avais-je tort de jouer le jeu, seul le futur me le dira. Puisqu’il désirait que je l’attaque de ce côté, c’est ce que je tentai, désireux de connaître ce qu’il avait en tête pour m’esquiver et, peut-être dans le même temps, contre-attaquer. Je fus loin d’être déçu. Je n’avais rien vu venir ! Comprenez que pour quelqu’un comme moi qui peut voir au-delà de ma propre vision, c’est toujours un comble stupéfiant de ne rien voir venir… Je notai, durant le laps de temps où j’étais privé de ma vue, que cet homme était sournois, c’était à retenir. La seconde suivante, un violent coup me coupa la respiration, maltraitant le haut de mon corps qui s’en retrouva blessé tant devant que derrière lorsque je percutai la rambarde. Je toussai, récupérant comme je pouvais de l’air, serrant les dents sous la douleur que chaque inspiration me provoquait. Je me tins les côtes, le tissu de mon vêtement se froissant sous mes doigts crispés, mon katana planté dans le pont et ma main gauche restant accrochée à la garde.
Le ton de ses mots changea. Ce n’était plus de l’amusement que je percevais, il me parlait comme si j’étais devenu d’un seul coup son élève. Ça me renvoya à mes années étudiantes, où je pratiquai le kendo et que le professeur nous parlait de ce même ton dès que nous faisions mal quelque chose et qu’il nous aidait à nous améliorer. Je fronçai les sourcils, n’appréciant pas du tout qu’il l’utilise avec moi. Il jouait de plus en plus mais, là, je n’avais plus envie de continuer ce petit jeu.
Mes yeux s’écarquillèrent le temps d’une seconde à sa nouvelle réplique. Alors comme ça, il en voulait à ma vie en plus de mon arme ? Quoi que s’il souhaitait seulement le katana, dans ma position actuelle, il aurait très bien pu me le prendre sans que je ne puisse me défendre. Il aurait aussi pu me tuer. Donc il voulait me vaincre en combat. Il était à la fois loyal et déloyal. Ou simplement un guerrier sournois. Difficile à cerner, avec si peu d’élément en main, mais je n’étais pas spécialement intéressé…
« Si seulement c’était aussi simple que ça.. » Soufflai-je à voix basse, me parlant à moi-même. Ma vie était déjà scellée et c’était pour cette raison que je me trouvais dans cette ville : pour échapper à mon destin, faire s’arrêter les aiguilles, attendre quelque chose sans savoir quoi. Mes côtes étaient douloureuses mais c’était supportable, alors je me relevai, grimaçant un peu sous l’effort et la souffrance qui s’en accompagnait. Je m’appuyai sur mon katana, le retirant du bois une fois remis sur pied, fouettant l’air de la lame que je tins vers le bas. « Ne te méprends pas, je ne me relève pas pour survivre. Je suis déjà condamné. Mais je ne compte pas céder si facilement. » Lançai-je, récupérant ma combativité malgré l’insinuation qui m’étreignait le cœur, je pouvais presque entendre les aiguilles de mon horloge tourner, tic tac, tic tac.
Je pris une grande inspiration, me replaçant correctement, prêt à recevoir n’importe quelle attaque et à esquiver ou contrer. Mes prunelles étaient peut-être vides d’envie de vivre, mais elles brillaient assurément de défi. Je me savais à la fin de ma vie, je n’espérais pas particulièrement sortir vainqueur de ce combat ou même vivant, mais je n’allais pas le laisser m’arracher ma vie sans raison. La vie vaut tout de même de se battre pour, je n’avais pas envie de rendre l’âme d’une façon aussi sauvage qu’un duel comme celui-ci, contre un inconnu. Encore, si cela avait été une connaissance, je n’aurais pas dit…
Qu'elle soit blanche ou d'un noir profond, qu'elle soit étoilée ou de pleine lune, la nuit est peuplée d'étranges créatures...Cette assurance et cette combativité animale dans son regard d'or éveillaient en moi un flot de souvenirs. C'était comme regarder dans un miroir et, au lieu d'y percevoir son reflet, y rencontrer les songes et les vestiges d'un lointain passé. Un visage aux allures si familières et pourtant, parfaitement étranger. Si l'humain à la peau bronzée évoquait l'audace d'un de mes anciens adversaires, en partie due à sa présence sur ce pont en pleine nuit d'hiver, il ressemblait d'une étrange façon à ce que j'étais autrefois... Un loup solitaire au regard féroce comme nul autre, cherchant désespérément quelque chose dont il ignorait autant la forme que la couleur. L'humain n'avait cédé à aucune de ses émotions. Son visage restait impassible, comme figé dans le marbre. C'était à la fois troublant et agaçant. Je m'étais alors juré de graver de belles émotions sur cette face si arrogante !
- « Alors, nous sommes deux ! Deux hommes condamnés qui s'affrontent ! » Répondis-je avec amusement, prenant une position de combat, prêt à reprendre les festivités. - « Humain, donne tout ce que tu as ! Aussi... » Ma voix s'était subitement voilée de ténèbres. - « C'est très malpoli de tenir son katana dans cette position... » Commentais-je en faisant allusion à la manière peu noble qu'il avait de tenir son arme.
Je m'étais vivement élancé dans sa direction. Si la première seconde, le visage du jeune homme n'avait démontré aucune faiblesse, il s'était rapidement décomposé à la suivante, réalisant que s'il ne bougeait pas immédiatement, il n'y survivrait peut-être pas. J'avais bondi avant de frapper. Avec une grande agilité, l'homme s'était jeté sur le côté, évidant in-extremis mon coup de pied. Dans un fracas assourdissant, quelques mètres de rambardes de bois avaient cédés sous la puissance de l'impact, tombant par morceaux de tailles diverses et variées dans l'eau glaciale du lac. L'humain se trouvant à présent dans mon ample mort, j'avais dû pivoter sur moi-même afin que mon œil ambré puisse à nouveau le toiser. Un grognement animal grimpa dans ma gorge, se noyant rapidement dans un sinistre ricanement. Dans ce paysage totalement blanc et maudit par la clarté généreuse de la lune, l'humain n'avait nulle part où fuir ou se cacher. Qu'importe où qu'il aille, la neige sera son plus cruel témoin !
C'est alors que l'humain me sidéra pour la toute première fois. Il avait eu quelques secondes d'avance sur moi, l'idéal étant d'en profiter pour prendre la poudre d'escampette. Et pourtant... Loin de s'enfuir, il avait saisi cette occasion pour passer à l'attaque ! J'avais paré sa lame de la mienne avec une effrayante justesse, laissant la brutale note métallique de l'acier troubler davantage le calme d'un paysage blanc et serein. Un sourire amusé étira mes lèvres jusqu'à en dévoiler les dents. Avec ma force de titan, je n'avais pas eu de mal à gagner l'échange de force de nos sabres, obligeant l'humain à prendre du recul. Durant un instant, nos regards s'étaient à nouveau rencontrés, se heurtant au trouble de ce doré si familier.
La suite de notre duel s'était déroulée à une vitesse vertigineuse. Nos katana s'affrontaient dans une série d'échanges aussi vifs que violents. Les bruits métalliques de nos lames s’entre-choquantes couvraient tout autre son, imprégnant l'atmosphère d'une stressante mélodie de mort. Chacune des attaques de l'humain visait à me tuer, chacun de mes mouvements n'espérait qu'un peu plus de jeu. Néanmoins, si le jeune homme manquait cruellement d'entraînement et de pratique, je n'étais pas aveugle - seulement borgne - au point de ne pas remarquer son brillant potentiel. Si j'avais osé continuer le jeu un peu plus longtemps, ma confiance en mes capacités d'escrimeur aurait elle-même aidée à creuser ma tombe. Loin de n'être qu'un simple mortel, la couleur ambrée de ses yeux et son immunité face à mon aura de terreur rendait cet homme bien trop spécial pour être sous-estimé.
La solitude exaspère tant de monde et le monde, le solitaire.
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La seule partie de lui que j’avais regardée avec attention était son œil. Peu importait à quel point nous nous rapprochions lors de nos échanges métalliques, ou que nous nous éloignions pour jauger l’autre et reprendre un peu notre souffle avant de nous élancer à nouveau contre l’autre ; je n’étais fasciné que par son orbe doré. Difficile de le nier, cet étrange sentiment naissant dans ma poitrine ne pouvait être que de la fascination. C’était la première fois, en vingt-six ans, que je croisais la route – et croisais le fer – avec quelqu’un ayant les iris de cette teinte si spéciale. Dans son cas, cela paraissait aussi naturel que ça l’était pour moi. Nous n’étions pas « normaux », à n’en pas douter.
Je ne sortis de ma contemplation impolie qu’au moment où il décida de repasser à l’attaque, me bondissant dessus. Il n’y allait pas de main morte ! Mais je n’allais pas m’en plaindre, c’était exactement ce que je désirais. Ne pas être sous-estimé. Esquivant au dernier moment, les premières données que j’avais enregistrées à son propos me revinrent en tête ; il était vraiment grand. Il devait bien dépasser Derek d’une tête. J’esquissai l’ébauche d’un sourire face à cette comparaison, ils n’avaient rien en commun ! Me remettant rapidement sur pied, je ne perdis pas de temps à réfléchir davantage, me jetant sur lui à mon tour. Comme si j’allais le laisser venir à moi à chaque fois… Il ne s’agit pas d’un combat à sens-unique, bien qu’il ait été débuté sans mon consentement, désormais j’étais plus que de la partie.
Oublie-le, Exa.
Je me mordis l’intérieur de la joue, alors que je me faisais repousser sans difficulté. Agaçant et frustrant. Derek aurait déjà hissé le drapeau blanc à ce niveau-là. Je ne faisais que penser à lui, ça en devenait encombrant, tout ça parce qu’il était la dernière personne que j’avais vu et avec qui je m’étais battu avant cette bataille-ci, sur ce pont enneigé. L’objet de ma fascination refit son apparition juste devant mes yeux et j’eus, cette fois-ci, l’impression de regarder le soleil. J’étais ébloui par son éclat. Féroce. Brûlant. Vivant. Mes pensées s’en retrouvèrent totalement chamboulées. C’était étrange, vraiment étrange, de se heurter à un regard qui paraissait semblable au mien tout en étant très différent. Il avait regagné toute mon attention ; il n’y avait plus que cet inconnu dans mon esprit.
Mes nombreuses attaques ne semblaient pas vouloir l’atteindre malgré toute l’énergie que je déployais pour y parvenir. Ma frustration était à son paroxysme lorsqu’il se lassa et décida – de ce que j’en concluais – d’en finir. Il était plus fourbe que ce que je pensais…Me frapper deux fois au même endroit, que c’était bas ! Hélas, je ne pouvais en nier l’efficacité. J’étouffai un juron en serrant les dents, un œil fermé sous la douleur, tandis que l’autre ne le lâchait pas. Si je ne m’étais pas repris à temps, les dégâts auraient été considérables. Il avait choisi de m’attaquer par derrière sauf que, l’ayant vu venir, je réussis à esquiver en me poussant - ou plutôt, me jetant - sur le côté, sa lame ne faisant que frôler ma peau, mon haut se déchirant tout de même à son contact. Je m’en étais sortis avec une légère coupure, rien d’alarmant. Pas le temps de se reposer sur le sol, je fis une roulade arrière pour me retrouver sur mes jambes et face à lui, arme en main. Mes côtes n’avaient pas du tout apprécié ce mouvement. Il avait dû m’en casser avec son coup particulièrement bas… C’était mauvais, j’étais à peine capable de tenir mon katana à deux mains. Je n’étais pas certain de survivre à un nouvel assaut. Je ne me risquais donc pas à l’attaquer de front, cela causerait sûrement ma perte. Je ne me rendis compte de la température basse qu’au moment où je vis mes expirations se transformer en nuage blanc rapidement emporté par le vent, la neige que j’avais accumulée sur mon dos lors de ma rencontre avec le sol se détacha petit à petit. J’étais vraiment dans la merde, en fait.
Je ne suis pas du genre à m’alarmer en cas de danger. Non, au contraire, ça me calme.
J’inspirai profondément et expirai longuement, reprenant une position adéquate, les jambes écartées, dos droit, mains tenant fermement mon arme. Je fis de la douleur un lointain souvenir, la recalant au dernier-plan. Si j’allais mourir dans cette stupide bataille, je comptais au moins me battre de toutes mes forces. Pas question d’abandonner. Je lui lançai un regard plus qu’évocateur sur ce que je pensais : « Je t’attends de pieds fermes ».
Qu'elle soit blanche ou d'un noir profond, qu'elle soit étoilée ou de pleine lune, la nuit est peuplée d'étranges créatures...Le dos légèrement courbé, mon coude du membre droit tenant le pommeau de mon sabre levé pour donner de la puissance à ma prochaine attaque, la main gauche juste devant sa jumelle, entièrement concentrée sur la précision du coup à venir, j'avais fait un pas en avant et, ma lame s'était élancée avec une grâce mortelle en direction du jeune bretteur. Je comptais percer un rein. Pas que. Plus que tout, j'accordais une foi sans faille en ma brutalité. Je n'allais pas juste le transpercer simplement et banalement. Confiant en prodigieuse force, j'avais pour projet d'ordonner au fer bientôt enfoncé proprement dans la chair de l'humain de faire un brutal demi-cercle. De quoi jeter un tas de choses rouges et sanguinolentes sur le sol neigeux...
Oups, je m'emballais tellement ! En réalité, il n'eut absolument rien de tout ça... Dans un premier temps, ce fut une grosse déception. L'humain aux yeux dorés avait esquivé mon coup en se jetant au sol. Mon attaque mortelle n'avait finalement qu'abimer un t-shirt blanc au goût trop standard pour être décrit. Cependant... Lorsque le jeune homme se redressa, reprenant bravement une position de combat tout en me défiant de son regard brûlant, je n'avais pas pu m'empêcher d'en ressentir une immense satisfaction. Il n'abandonnait pas. Malgré ses blessures et sa défaite imminente, il continuait de me défier de son regard de loup.
- « Tu fais parti de ces adversaires que je n'oublierais jamais... Même si, en réalité, je n'oublie jamais rien. » M'amusais-je en adoptant moi aussi une position d'attaque.
Plus aucune moquerie. Plus aucune sournoiserie. Mon visage affichait un petit sourire sincère, mon regard s'illumina un instant d'une lueur mielleuse. Je savais, vu l'intensité de nos échanges de regards, que mon adversaire l'avait capté dans son entièreté.
- « Tu t'es bien battu, gamin. » Lâchais-je d'une voix paternelle.
Un éclair d'une violence inouïe frappa le sabre japonais de l'humain condamné avec une si grande force, que sa pauvre main ne put la retenir. L'arme vola à quelques mètres de lui, se réfugiant sous un tas de neige comme si, elle avait été confrontée à la peur elle-même. Désarmé et à ma merci, l'étranger aurait dû être terrorisé et suppliant. N'être plus qu'un semblant d'homme. Un chiot apeuré. L'étonnante plénitude sur son visage me pétrifia quelques instants, laissant mon seul œil valide s'écarquillait de stupeur. Il acceptait sa mort et l'accueillait même à bras ouvert. Ma main gauche lâcha la garde de mon katana pour heurter sèchement le cou du vaincu. Mes doigts s'étaient refermés sur sa gorge, le saisissant avant d'user des prodigieux muscles de mon bras pour le soulever de terre. Ses pieds avaient quitté le sol, s'agitant furieusement dans le vide tandis que ma main resserrait son étreinte, lui coupant méchamment le souffle. C'était terminé. J'en aurais probablement des regrets, mais plus tard.
Certaines personnes pensent entendre des voix dans leur tête, comme si, dans les moments les plus fatidiques de leur vie, quelqu'un ou quelque chose leur venait en aide, leur dictant ce qu'ils doivent ou ne doivent pas faire. Je n'avais jamais été sujet à ce phénomène auparavant et ce, malgré ma très longue vie. À la différence, que ce qui m'empêcha de briser le cou de l'humain condamné n'avait rien d'une voix. Un cri terrifiant et violent. Un hurlement désapprobateur et jaloux. Le sombre rugissement d'une bête. Ma main avait subitement relâché sa prise. Le corps inconscient et pâle de l'humain avait rejoint dans un bruit sourd la fine couche de neige recouvrant le pont de cette nuit glaciale. J'étais resté comme pétrifié, me souvenant avec exactitude de l'origine de cette «voix». Cette calamité du passé était toujours en vie, après tout ce temps... Pourquoi m'avait-elle interrompue ? Comment osait-elle se manifester à un moment pareil ?! Pourquoi avait-elle refusée que je mette à mort cet étranger ? Sa vie, comme la vie en général, n'a pourtant aucune espèce importance pour elle...
Mon regard ambré délaissa le point invisible qu'il fixait dans la pénombre pour se porter lentement sur le corps inconscient du jeune homme. Non. Ce petit bretteur, aussi audacieux soit-il,ne pouvait pas être... Silence. Plus aucun son ne subsistait. La neige paresseuse tombait, cherchant discrètement à recouvrir le monde de son blanc pur et éclatant.
Après tout ce temps... Alors que j'étais au crépuscule de mon existence, comment serait-il possible que cette dernière prenne enfin une signification, un sens, un rôle à jouer... Qu'importe. Il n'y aurait aucun combat épique. La vie de cet homme - qui qu'il puisse être - allait s'éteindre comme la faible flamme d'une bougie face à la tempête... Ma main droite trembla légèrement à cette dernière pensée avant, de serrer avec rage le pommeau de mon arme. J'avais avancé d'un pas, faisant craqué la neige sous mes chaussures. Mes deux mains gantées de noir tenant à présent mon sabre, j'avais levé mon arme au-dessus de l'humain couché dans la neige avec une lenteur cérémonieuse. En agissant ainsi, je m'assurais une victoire totale... Avec colère, j'avais serré les dents, d'un geste brusque mon arme avait gagné encore quelques centimètres en hauteur avant de commencer à chuter à une vitesse vertigineuse, puis...
La pointe du katana s'arrêta, suspendue dans les airs à quelques pouces de foudroyer sa cible. Mon seul œil valide, brillant d'une compassion troublante, s'était posé sur le visage endormi du jeune homme. Il semblait si paisible, parfaitement inconscient de la guerre qui faisait actuellement rage dans mon esprit. Une guerre qui allait déterminer s'il reverrait l'aube... Un grognement de frustration grimpa dans ma gorge.
- « Et merde ! »
Dans un léger frottement métallique, ma lame avait regagnée son fourreau. Un genou posé sur le tapis neigeux, j'avais décroché le fourreau pourpre de la ceinture du jeune homme, allant ensuite ramasser son katana, ensevelit sous le début de l'hiver. Brandissant le sabre japonais de mon adversaire défait, j'avais laissé la lueur argentée de la lune caressait délicatement l'acier de sa lame, l'admirant avec fascination et expertise. Benkei venait de remporter son 1 000ème katana... Bien qu'il y avait toujours un chiffre de trop à ce nombre. Déformation légendaire, disons... Attachant le second fourreau à ma ceinture, j'avais rejoint la silhouette toujours immobile du vaincu, m'accroupissant gentiment à son côté. Sa poitrine se soulevait à un rythme régulier. Il avait seulement perdu connaissance suite au manque d'oxygène... Avec ce froid mordant et ses blessures, probable qu'il meurt avant le lever du jour... Mais, il y avait plus important.
- « Dites-moi que je rêve... Ce gars porte un tapis autour de la taille !? » Murmurais-je pour moi-même, portant une main outragée à ma bouche.
Qu'on insulte autant l'élégance et la classe en s'habillant de la sorte... Cet humain était l'incarnation même de l'insolence et ce, dans tous les domaines ! Seulement, c’était aussi un chanceux... La guerre était terminée. J'avais tranché. L'humain aux yeux dorés allait avoir l'opportunité de contempler à nouveau toute la beauté de l'aube. Du moins, je ne me portais garant que pour la prochaine... Passant mes bras sous lui, je l'avais attiré délicatement contre moi avant de me relever. Droit sur mes deux jambes, j’avais accordé un dernier regard sur l’étrange tatouage enroulé autour d’un des bras de l’humain. Kurikara…? Emportant mon adversaire défait avec moi, tel un prédateur entraînant sa proie vaincue, j'avais quitté le pont, disparaissant dans cette nuit aussi blanche que noire. Une nuit étoilée troublait par une pleine lune dominante et, peuplé d’étranges créatures.