On entendait que la pluie. Indifférente aux émotions qui se déversaient dans le paysage brumeux, elle s'écrasait sur les parapluies sombres des vivants comme sur les pierres tombales des morts. La cérémonie avait touché à sa fin depuis un moment déjà et, ceux le pouvant, fuyait cet endroit lugubre comme la peste. Un jeune garçon avait commencé à suivre le mouvement en voyant sa mère faire demi-tour vers leur voiture, lorsqu'il remarqua que la personne qu'il surveillait depuis le début de l'enterrement n'avait toujours pas bougé. Il avait espéré que son frère suivrait sa famille une fois le cercueil six pieds sous terre... Yoshino Tokugawa avait refusé de prendre un parapluie. Il avait également chassé toutes les bonnes âmes qui avaient voulu l'abriter de l'averse. Il voulait être seul. Non. Il voulait être avec son mentor. Seulement, ce n'était pas possible... Akihiro Tokugawa n'avait jamais vu cette triste facette de son frère. L'aîné de la famille était à genoux, immobile, trempé et pitoyable. Malgré son jeune âge, Akihiro savait qu'il ne pouvait rien y faire. Seul le temps le pouvait. Respectant le souhait de solitude de son frère, il s'était approché jusqu'à une certaine limite.

- « Le temple n'est pas si loin... » Lâcha-t-il.

Si Yoshino était de dos, un petit mouvement de sa tête avait confirmé à son petit frère qu'il l'avait bien entendu. Avant de se faire chasser, Akihiro avait tourné les talons. Il n'y avait plus personne pour voir ses larmes lorsque Yoshino Tokugawa pleura enfin.

Le soleil commençait à caresser l'horizon lorsque Yoshino grimpa les marches du temple d'Inari. Ce jour-là, aucun renard ne s'était montré. Peut-être étaient-ils encore abrités de la pluie qui, venait tout juste de cesser ? Ou peut-être, avaient-ils senti la tempête de sentiments qui dévastait le jeune humain de l'intérieur, déchirant encore et encore ses espoirs comme sa foi, ne lui laissant aucun instant de répit. C'est avec la sensation qu'une multitude de lame le traversaient de toute part que le Tokugawa retrouva ce sanctuaire qu'il pouvait sans mal considérait comme l'un de ses foyers.

Le regard torturé du jeune homme s'était confronté à l'autel de la divinité renarde. Il avait fait un tour sur lui-même, parcourant le lieu sacré de ses yeux dorés, la gorge serrée comme si on essayait de l'étouffer. Il étouffait. Il se revoyait, au travers du temps et des saisons, grimper les marches en courant maladroitement, alors qu'il n'était qu'un enfant, murmurait un petit « Merci » à sa déesse avant de filer. Il apercevait l'adolescent triste qu'il avait été, venant d'un pas désespéré, murmuré à la déesse Inari : « S'ils vous plaît, protégez-moi d'eux... ». Puis, il contempla avec une jalousie profonde ce fier adulte en devenir qui, seulement le temps d'un instant, faisait preuve de faiblesse pour adresser son ultime prière à sa divinité : « Par pitié, protégez-le ! » avant, de se relever et, après s'être assuré que son masque - cette façade dissimulant ses émotions -, était bien en place, se retournait vers son maître qui, au loin l'attendait toujours. Ce jour-là aussi, Yoshino s'était retourné. Sauf que personne ne l'attendait en bas des marches.

Ses jambes avaient comme cédé et, c'est à genoux, les dents et les poings serrés, qu'il lutta contre toute cette remontée sauvage de ressentiments. Il sentait son âme se torde sous cette douleur terrible, cette plaie du cœur que rien ne pouvait calmer. Et, la tempête déborda.

- « Pourquoi m'avoir sauvé si c'est pour m'infliger ça ?! » Hurla-t-il d'une voix qui lui était étrangère. - « Durant toutes ces années... » Commença-t-il dans un grognement sans trouver un argument pour finir sa phrase colérique.

Le silence d'un lieu sacré est le respect qu'offre les vivants à ceux qui sont éternels. Yoshino brisa ce silence en bousculant d'un coup enragé d'épaule la statue d'un renard qui, dans un boucan outrageant, explosa en morceaux dans les marches. L'autre statue, celle ornant le côté droit de l'entrée au temple, n'échappa pas à la rancune du Tokugawa. Dans cette ivresse de peine et de désespoir, Yoshino avait utilisé son pistolet comme arme de fortune pour démolir l'autel d'Inari, frappant encore et encore le pauvre bois ancien avec une violence démente. C'est à quelques coups d'achever cette précieuse relique, qu'une voix autoritaire s'éleva dans l'ombre de l'humain insolant.

- « Hey l'humain, ne détruit pas mon sanctuaire. » Ordonna-t-elle.

Yoshino s'était pétrifié avant de subitement se retourner vers cette voix. Jamais il n'avait vu une jeune femme aussi belle. Il lui avait fallu un certain temps avant d'apercevoir les oreilles et les queues de renard qui s'ajoutaient et se fondaient dans l'apparence de la jeune femme. Son cœur rata un battement. Soudainement, tout semblait avoir changé autour de lui, tout semblait subitement moins gris, moins triste. L'endroit avait un arrière-goût de rêve, irréel et coloré. Yoshino avait ouvert la bouche, comme pour parler, mais aucun son n'avait quitté ses lèvres.

- « Oh... C'est toi ! Tu es l'enfant humain que j'ai trouvé l'autre fois dans les bois. Ta famille est morte, j'ai dû en choisir une autre... meilleure, je présume. » Lança la divinité comme s'ils étaient de vieux amis qui se retrouvaient après une longue séparation.

Le jeune homme avait écarquillés les yeux. Il savait qu'il avait été adopté par les Tokugawa. Il vénérait Inari, car son père lui avait raconté que c'était la déesse elle-même qui leur avait apporté Yoshino alors qu'il n'était qu'un enfant. Depuis toujours, cela avait sonné comme une légende, un mythe qu'on aurait inventé pour rassurer l'enfant dont le sang n'était pas celui royal et noble des Tokugawa. Et depuis toujours, la dévotion de Yoshino envers la déesse avait été son réconfort le plus précieux. Sa colère soufflait, Yoshino était comme vide et désarmé. Il tenait toujours son arme dans son poing droit et pourtant, jamais il ne s'était senti aussi impuissant.

- « Tes cheveux... Je n'aime pas. Tu es plus grand que moi... Quel âge as-tu maintenant ? » Continua Inari, penchant légèrement la tête sur le côté.

- « Vous êtes la déesse Inari... Alors... Si vous êtes là, si vous êtes réelle... Pourquoi est-il mort... ? Pourquoi... ? » Murmura l'humain complètement déboussolé.

Le visage de la déesse renarde pris une autre facette, plus sombre et sournoise. Une divinité ne converse pas avec un être qu'elle estime trop inférieur à elle. C'est un peu comme si un humain adressait la parole à une fourmille. D'un pas silencieux et léger, Inari se rapprocha de l'humain.

- « Tu n'es pas assez digne pour que je prenne le temps de débattre de telles absurdités avec toi, enfant humain. Tu es un faible qui utilise les forts afin de se donner l'illusion d'être fort. Peut-être... Que j'accepterais une requête, de t'accorder une faveur, si tu t'en montres à la hauteur. » Sur la pointe des pieds, Inari avait rapproché ses lèvres envoûtantes de celles du jeune homme. Son regard brûlait d'une lueur joueuse. - « Peut-être... Je dis bien peut-être, devrais-tu finalement la sortir de l'eau... » Souffla-t-elle avant de disparaître dans une pluie de paillettes brillantes.

Toute lumière s'était éteinte. Brutalement, Yoshino s'était à nouveau retrouvé seul dans la dure réalité, comme arraché d'un rêve. Les derniers mots d'Inari lui avait glacé les sangs. Il était resté immobile et interdit, son esprit ayant retrouvé son calme d'autrefois. Les nuages s'étaient éloignés, laissant derrière eux la promesse de quelques rayons de soleil. La tempête était passée.

Cela faisait maintenant plusieurs heures que Yoshino ignorait le renard. Le petit animal, qui s'était présenté de lui-même d'une voix étrange comme étant un certain Mashiro, avait suivi le jeune homme du sanctuaire de la déesse Inari jusqu'à la demeure familiale des Tokugawa. Même de nos jours, un renard qui parle le langage des Hommes aurait tôt fait de répandre la panique. Ainsi, Yoshino avait dû se faire discret, faisant un véritable détour, une fois le portail du domaine de la demeure passé. De toute façon, il n'était pas venu pour voir les siens. Ce qui l'intéressait, c'était les dernières paroles d'Inari... « Peut-être devrais-tu finalement la sortir de l'eau... » Avait-elle suggérée avant de disparaître. Pour Yoshino, les mots de la divinité étaient aussi clairs que de l'eau de roche. Il s'était éloigné de la grande maison jusqu'à atteindre le fond de l'immense jardin, là où dormait un lac. Depuis sa plus tendre enfance, le fils aîné des Tokugawa avait été attiré par cet endroit. Et plus précisément, par l'objet qui reposait d'une façon surnaturelle dans cet endroit.

Au centre du lac, reposait la lame d'un katana. Loin d'être au fond du lac comme le voudrait la raison, la lame reposait debout, à la verticale, sur la surface du lac. L'eau lui arrivait à l'arête centrale. Sa pointe dessinait sans cesse des petits cercles sur la surface du lac. Dès qu'une feuille morte avait le malheur d'approcher la lame immobile de trop prêt, elle finissait tranchée. Autrefois, dans ce lac, il y avait une multitude de poissons. La lame, cruelle, n'en a épargné aucun.

Ce katana est l'une des lames jadis forgées par le sombre Muramasa Sengo. Depuis toujours, les Tokugawa se transmettent une réelle crainte pour les lames de Muramasa. Tout commença avec Tokugawa Ieyasu, qui fut blessé deux fois par une lame Muramasa. Il s'intéressa assez à ses armes pour remarquer des faits étranges avec elles. Une simple coupure, même superficielle, avec l'une d'elles provoque une douleur anormale et terrible. C'est sur le champ de bataille, après avoir constaté qu'une lame forgée par Sengo Muramasa avait transpercé le casque et le crâne d'un homme d'un simple coup, avec une facilité plus que terrifiante, que Ieyasu proclama que toutes les lames forgées par Muramasa et son école étaient maudites. Et même encore aujourd'hui, les Tokugawa ont peur des armes du légendaire forgeron. Il fut bien triste, le jour où une lame signée par Muramasa apparut comme par magie sur le lac encadrant le jardin de la demeure familiale des Tokugawa. Cet événement s'était produit peu après l'adoption de Yoshino, bien que personne n'alla maudire l'enfant en lui attribuant la cause de ce malheur.

- « Il y a longtemps, un homme est entré dans l'eau pour retirer la lame. Elle lui a coupé les deux jambes ! Depuis, plus personne n'approche cet endroit... » Souligna Mashiro.

- « Personne... Sauf moi. » Murmura Yoshino, répondant au renard pour la toute première fois.

Depuis qu'il est en âge de s'aventurer dans le jardin, Yoshino n'avait eu cesse de développer une admiration pour cet œuvre tranchante faite d'acier et de malédiction. On lui avait interdit plusieurs fois d'approcher le lac. Il n'avait jamais réussi à obéir, même quand c'était un ordre de père. Cette lame l'avait toujours appelé. Elle l'appelait seulement, comme tous les Tokugawa, Yoshino en avait peur.

L'aîné des Tokugawa s'approcha du lac jusqu'à ce que l'eau viennent lécher ses chaussures. Le renard s'était alors alarmé.

- « Si tu y vas, l'épée va te trancher ! Elle n'aime personne ! Elle est maudite ! » Cria Mashiro en s'approchant, les oreilles plaquées vers l'arrière.

Un sourire prétentieux s'était alors dessiné sur les lèvres du Tokugawa. Depuis combien de temps, n'avait-il pas sourit ? Cela l'amusait d'entendre le renard prétendre qu'il n'avait pas la moindre chance d'être aimé par la lame Muramasa... Comment pouvait-il dire ça ? À lui qui, possède le don de charmer n'importe qui à l'aide d'un simple échange de regard ? Puis, le sourire de Yoshino était mort aussi vite qu'il était né. Un chapitre de sa vie s'était achevé. Il était maintenant prêt à tourner la page. Qu'elle donne sur un nouveau chapitre, plein de promesse ou de tristesse ou, sur une page blanche signant sa fin, il lui restait assez de volonté et de force pour tourner cette page douloureuse.

Ignorant les avertissements du renard, Yoshino s'était avancé dans l'eau du lac. Alors que l'eau lui arrivait en haut des cuisses, il n'entendit soudainement plus la voix et les cris animal de Mashiro. Non. Ce n'était pas que le renard. Le Tokugawa n'entendait plus rien. Un silence glacial régnait dans le lac servant de fourreau de fortune à la lame maudite. Un pas. Une douleur atroce lui arracha un cri muet de douleurs. Un autre pas et, l'eau autour de lui prit une affolante teinte écarlate. Un pas de plus. Son cœur battait si fort, qu'il avait la sensation dérangeante que sa poitrine allait finir par brutalement céder. Encore un pas. Sa respiration fut un instant coupée par la douleur mordante qui lui déchiquetait la chair de ses jambes. Un dernier pas et, sa main tremblante se tendit vers la lame Muramasa. Puis, Yoshino cessa de trembler. Sa main s'était alors refermée avec assurance sur l'artefact. Sa peau au contact du tranchant s'ouvrit, nourrissant de sang la lame maudite. D'un geste final, Yoshino ôta la Muramasa de son fourreau invincible avant, triomphant, de la lever au-dessus de lui. Il entendit alors à nouveau la voix curieuse et inquiète de Mashiro.

C'est en touchant la lame pour première fois, que Yoshino apprit son véritable nom. Ce katana, son katana, en sera à jamais le gardien.

Cela faisait maintenant dix minutes que le jeune homme s'impatientait. Perché sur le toit usé de son sanctuaire, Inari le regardait, lui et l'artefact maudit qu'il tenait comme un trophée. La déesse renarde semblait perplexe quant à croire l'histoire farfelue que lui avait conté son loyal serviteur, Mashiro. Pourtant, elle savait que le renard ne lui mentirait jamais. Puis, la lame était une preuve en elle-même. Jamais Inari n'avait vu une arme aussi malsaine. Elle ne pouvait s'empêcher de penser que l'artefact était tout à fait en accord avec son propriétaire.

- « Tu es un mauvais renard Yoshino... Te voici tout fier et content d'avoir ramassé une lame maudite dans un lac. Tu penses réellement m'impressionner ? » Se moqua la déesse.

- « C'est vous... Qui m'avait dit qu'il était temps de la sortir de l'eau. » Riposta Yoshino, fronçant les sourcils. Il baissa les yeux sur la lame qui, dormait sagement d'une paume à l'autre de ses mains.

- « Bon. Tu en fais tellement pour avoir mon attention... Je cède ! » Commença Inari en soupirant, adoptant une position plus sérieuse. - « Faisons comme si j'acceptais de t'écouter, juste un instant. Attention à ce que tu vas dire. Tes divagations ne m'intéressent pas. »

Le Tokugawa était resté un instant silencieux. Depuis qu'il avait sorti la lame de l'eau, une profonde sérénité régnait en maître dans son esprit. Sa colère, sa peine et sa détresse n'avaient pas disparues. Le jeune homme était juste miraculeusement capable de les mettre de côté. Du moins, pour l'instant. Il n'avait aucune attention de ruser ou de tenter de manipuler la déesse. Il voulait jouer cartes sur table. Il voulait parler, dire haut et fort ce qu'il souhaitait.

- « Ce n'est pas assez. » Lâcha-t-il enfin. Inari pencha la tête sur le côté, amusée de ne pas comprendre. Son sourire s'effaça bien vite. - « Mon pouvoir... Mon artefact... Ce n'est pas suffisant. Je n'atteindrais pas mes objectifs armé d'un regard charmeur et d'un katana que je ne sais pas manier. J'ai besoin de vous, Inari ! » Sa voix, jusqu'ici douce et caressante, s'était faite bien plus dure et mordante en prononçant le nom de la divinité renarde.

Avec souplesse, la déesse était descendue du toit, se laissant tout simplement tombé pour retrouver le plancher de pierres. Elle s'était avancée avec grâce et élégance jusqu'à l'humain. Avec une grande douceur, les deux mains de la divinité renarde s'étaient délicatement posées sur le visage surpris de l'héritier des Tokugawa. Le regard divin s'était plongée dans celui ensorceleur. Inari ne craignait pas plus l'humain que son pouvoir.

- « Qu'est-ce que j'y gagnerais, Yoshino Tokugawa ? » Murmura-t-elle avec un petit sourire.

- « Tout ce que j'ai. Tout ce que tu voudras... » Chuchota désespérément le jeune homme.

Lorsqu'il posa sa main sur la poignée de la porte du bureau, Yoshino ressenti quelque chose de similaire à une reconnexion avec la réalité. S'il n'avait pas le katana Muramasa avec lui, probable qu'il aurait pensé avoir perdu la raison suite au décès de son formateur. Il entra dans le petit bureau d'un pas inquiet, comme s'il avait peur d'être vu ou, d'y découvrir quelque chose d'inattendu. Rien, si ce n'est quelques souvenirs errants tels des spectres. Tout était resté comme tel, chaque chose à sa place, comme si l'ancien leader des Gardiens allait rentrer d'une minute à l'autre.

Sans réellement avoir une idée derrière la tête, le Tokugawa avait ressenti le besoin de revenir ici. Il espérait pouvoir y réfléchir calmement, faire son deuil et se tourner vers quelque chose de semblable à l'avenir. Son étrange rencontre avec Inari et l'obtention d'un artefact maudit lui avaient fait réaliser que non, le monde n'avait pas cessé de fonctionner... Aussi tordu et sadique puisse être le destin, son cours se suivait. Celui du jeune homme n'en faisait pas exception. Seul celui de Illarion Wolkoff avait brutalement prit fin... Seulement, Yoshino ne voyait aucunement ce qu'il pourrait faire désormais... Il avait demandé l'aide de la déesse, parce que cela lui semblait être la meilleure chose à faire. Quoi qu'il puisse faire ou décider, quel que soit l'objectif sur lequel il se jetterait avec désespoir, l'aide d'Inari lui serait vital. Ou, c'était autre chose...

Depuis sa plus tendre enfance, Yoshino est bercé par les grands idéaux des autres. Sa famille désire retrouver la gloire passée du clan, quand bien même c'est perdu d'avance. Les Gardiens désirent protéger la population, motivé le plus souvent par des sentiments nocifs comme la peur ou la vengeance... Une vengeance personnelle... Les souvenirs des derniers instants du mentor du jeune homme défilèrent alors dans son esprit... Et, si... ? On sonna à la porte. S'arrachant des griffes des spectres, Yoshino avait relevé la tête avant, de poser son regard au sol. Comme prévu, on glissa une enveloppe sous la porte. À l'intérieur, y figurer simplement un code. Il y avait du nouveau sur la mission en cours...

Emprunter les idéaux des autres... C'est toujours plus simple lorsqu'on refuse d'accepter les siens. Ça a toujours été dans la nature humaine de vouloir quelque chose. Pour quelqu'un d'aussi extravagant que Yoshino Tokugawa, l'idéal ne peut être qu'à la hauteur du personnage... Se souvenant subitement de quelque chose, Yoshino fouilla la poche de son manteau pour y sortir la petite boite en métal où l'ancien meneur des Gardiens rangeait avec soin son briquet et ses cigarettes. Un aigle était gravé sur le devant de la boite. Un sourire nostalgique s'était un instant dessiné sur ses douces lèvres. Juste un instant.

Yoshino s'était installé au bureau, à la place anciennement occupée par son formateur, parcourant le nouveau dossier sur son téléphone tout en étalant toutes les informations qu'il possédait déjà sur l'affaire des jumeaux damnés. Au fil de ses recherches et, des cigarettes qu'il fumait, fumait puis écrasait en tas dans un cendrier disposé sur la table, il découvrit ce que son mentor lui avait dissimulé. Si le Gouvernement avait fait appel aux Gardiens, ce n'était pas seulement pour éviter le scandale... C'était parce qu'ils étaient connus pour effacer les traces, ne rien laisser derrière leur passage afin que la populace puisse encore croire que « tout va bien » au Japon. Le Gouvernement avait fait appel aux Gardiens afin qu'ils dissimulent la vérité sur l'affaire des jumeaux damnés...

Durant un long moment, Yoshino était resté le dos collé au dossier de sa chaise, le regard rivé sur un endroit au hasard au plafond, une clope au bec qu'il avait comme oublié d'allumer. Ce qu'il désirait était trop fou pour qu'il ose le prononcer, même pour lui-même. Pourtant, c'est ce même désire qu'il l'a poussé à demander l'aide de la déesse qu'il vénérait depuis son enfance. Quel affront... Lui, simple humain arrogant, avait demandé à une véritable divinité de l'aider. Inari s'ennuyait-elle tant que ça pour avoir accepté ? Quoi qu'il en soit, le Tokugawa ne comptait pas formuler son désir à voix haute pour le moment. En attendant...

D'un bond, Yoshino quitta le fauteuil, récupéra le presque mythique manteau blanc d'Illarion et le posa sur ses épaules. Il en avait assez d'être la marionnette de ses émotions et de ses sentiments. Il n'était pas un faible au point de se laisser dévorer par le souvenir de son mentor... C'est un Tokugawa ! Ce qu'il devait faire maintenant coulait de source. Emprunter les idéaux de l'ancien meneur des Gardiens afin, de mener les Gardiens ! Il alluma enfin sa dernière cigarette, attrapa son téléphone afin d'exiger un rassemblement de toute urgence.

Certains Gardiens avaient affichés une mine outragée en voyant Yoshino débarquait en portant le manteau blanc de leur ancien leader, dont l'éclat venait presque offenser la pénombre du lieu. L'un d'eux, avait même immédiatement fait demi-tour. Le lieu de rassemblement des Gardiens était l'étage -9 d'un parking souterrain de Shibuya. À cause d'un effondrement, une partie du parking était devenu hors d'usage. Depuis plusieurs mois déjà, il était fermé et dans l'attente de travaux. Un endroit vide et à l'abri des regards indiscrets, parfait pour dissimuler le regroupement d'une organisation secrète. D'un simple regard, Yoshino avait compté le nombre d'hommes et de femmes ayant répondus à son appel. Dix huit Gardiens étaient présents. L'organisation n'avait jamais compté beaucoup d'effectif, mais depuis la mort d'Illarion, elle frôlait le risque d'être démantelée. Le Tokugawa n'avait que cinq Gardiens dans sa poche, ayant par le passé usé de son regard enchanteur sur eux. Il lui était impossible d'utiliser son pouvoir pour charmer autant de personnes à la fois. Néanmoins, le jeune homme était à l'image de son pouvoir : charmeur et manipulateur.

- « Ce serait mentir que d'affirmer que Wolkoff souhaitait me voir prendre sa suite. Il me formait dans ce but, mais il ne m'a jamais fait part d'un avenir où il me laisserait lui succéder. Il est même possible qu'il n'y ait jamais songé. » Commença Yoshino, parfaitement sincère. - « Néanmoins, c'est ici et maintenant que je prends la tête des Gardiens. » Termina-t-il dans un calme parfait.

Ses paroles avaient eu l'effet qu'il espérait. Un caillou lancé dans la marre. Sous la colère, l'énervement ou la confusion, certains Gardiens, que Yoshino jugeait « à problèmes immédiats », s'étaient manifestés. Comme Yoshino l'avait prévu. Des prochaines cibles pour le Tokugawa qui, se chargerait de les convaincre un à un de le rejoindre lui et ses convictions. Bien évidemment, Yoshino comptait utiliser son don pour y parvenir véritablement. Si les plus bruyants des Gardiens, ceux au sang chaud, venaient de se trahir, ils n'étaient qu'une minorité. La plupart des agents de l'organisation secrète avaient gardés leur visage sans expression, presque sans âme, illisible même pour le plus doué des hommes. Ils étaient les plus dangereux, ceux qui poseront des « problèmes à l'avenir ». Nul doute qu'ils n'hésiteront pas à tuer Yoshino Tokugawa dans son sommeil s'il commet le moindre faux pas.

Yoshino n'avait pas réagi aux questions qui fusaient, attendant sagement qu'une grande bouche ait besoin de récupérer son souffle avant de reprendre avec l'un des petits discours qu'il avait préparé, ôtant pour le troisième, compte tenu de la situation.

- « Je n'ai toujours été que l'ombre de Wolkoff. Je n'ai ni votre confiance, ni votre respect. Cependant... Je n'ai pas été contraint de rejoindre les Gardiens par hasard. La notoriété et l'influence des Tokugawa au Japon, c'est ce que voulait s'approprier Wolkoff en m'utilisant à son avantage. Mon père quant à lui, souhaitait prendre le contrôle des Gardiens à travers moi afin, que les Tokugawa puissent à nouveau affirmer leur dévotion envers le pays en le protégeant de la menace engendré par notre ère. C'est une question d'honneur, quelque chose qui peut échapper à certains d'entre vous, je le conçois... Tout comme je deviens aujourd'hui votre leader, je suis devenu le chef de famille des Tokugawa. » Un petit silence, celui de la réflexion. Avant de perdre son audience, Yoshino avait levé son katana. L'artefact maudit était rangé dans un magnifique fourreau écarlate. - « J'ai obtenu un artefact capable de faire taire les pouvoirs de ceux qu'il blesse. » Il s'était un instant arrêté, comme hésitant. - « Et... La déesse Inari m'a accordé ses faveurs et sa protection. »

Si les paroles du jeune homme concernant l'artefact avaient eu le mérite d'attiser l'intérêt des Gardiens, certains avaient éclatés d'un rire volontairement gras et moqueur lorsque Yoshino évoqua le nom d'une des déesses de la mythologie japonaise. Un sourire sombre s'était alors dessiné sur le fin visage de Yoshino Tokugawa. Son regard impérial, devenu presque animal, s'était posé avec mépris sur les auteurs présumés de l'affront qu'on venait de lui faire subir.

- « Ah, j'oubliais... Il fait un peu sombre pour que vous puissiez les voir. » Lâcha-t-il avec provocation.

L'énorme silhouette d'une bête blanche s'était soudainement manifestée dans l'ombre du Tokugawa, d'abord trouble avant d'apparaître clairement aux yeux des humains à la spiritualité trop faible pour percevoir les esprits et les divinités. La créature avançait d'un pas tranquille, ayant au préalable observée la scène dans son entièreté. Le renard était plus grand qu'un cheval. Sa fourrure était faite d'un blanc parfait et ses yeux brillaient comme des flammes. Inari, sous sa forme animale, avait redressé sa robe, composée de ses neuf queues. Des feux-follets bleus étaient alors apparus, ci-et-là, flottant au hasard autour et au-dessus du groupe d'humains. La lueur bleue des flammes avaient révélé aux yeux de tous les renards et autres esprits mineurs qui entouraient et observaient la réunion depuis son commencement.

Si certains Gardiens avaient lentement porté leur main à leur arme, la présence de deux autres renards, d'un gabarit légèrement inférieur à Inari, les dissuada de commettre une quelconque folie. L'un des grands renards montrait volontiers ses belles rangées de dents, sa langue pendant sur le côté lui donnait un air de dément. L'autre renard, affichait le sourire le plus glacial et le plus sournois qui soit, ses yeux fous ne quittant pas une seule seconde le groupe. Des esprits, deux démons, une déesse... Tous les Gardiens connaissaient la probabilité que de tels êtres puissent exister. Seulement, pour beaucoup, c'était la toute première fois qu'ils assistait à une manifestation d'une telle ampleur.

- « Votre confiance, votre respect... Je ne l'aurais pas aujourd'hui. Laissez-moi du temps. Juste un peu... » Lançai la voix faussement inquiète de Yoshino. D'un pas décidé, il s'était avancé, traversant le regroupement qui le laissa volontiers passé. Inari suivait son nouveau humain-jouet, son regard brûlant semblait prendre un amusement incroyable à toute cette comédie. Une fois en retrait du groupe, la déesse sous sa forme animale s'était couché au sol, laissant le Tokugawa grimpait sur son dos.

- « En attendant, je vais vous prouver que je peux réussir là où Illarion a échoué. Je vais de ce pas clôturer l'affaire des jumeaux damnés. » Plaça Yoshino avec froideur.

D'un bond, Inari disparut en emportant l'humain. Dans le parking souterrain de Shibuya à l'étage -9, fermé dans l'attente de travaux de rénovation, il ne restait plus qu'un groupe d'hommes et de femmes plongés dans la pénombre et le doute.

Le Tokugawa s'agrippait à la fourrure d'Inari comme si sa vie en dépendait. Et pour cause, sa vie en dépendait ! Inari était aussi légère qu'une plume, mais la puissance qui se dégageait de ses pattes lorsqu'elle bondissait était comparable à celle du tir d'une balle de revolver. Yoshino n'aurait su dire si elle courait ou si elle volait, tant la différence de sensations devaient être minces. Inari avait parlé, mais le jeune humain ne lui avait pas fourni de réponse. C'est contrarié qu'elle s'était arrêtée sur le sommet d'un petit immeuble. La déesse renarde allait gronder l'impertinent avant, de remarquer qu'il était totalement collé contre elle, les jambes tremblantes.

- « Heureusement que personne ne peut te voir Yoshino. Ta crédibilité en aurait prit un coup ! » S'était moqué la renarde.

- « J'ai cru mourir trois fois en l'espace de dix minutes... » Grogna le jeune homme en se redressant un peu, encore assaillit de nausée.

Le grand renard blanc s'était couché, de sorte à montrer à l'humain qu'il lui laissait le temps de se remettre de ses émotions. Yoshino allait devoir s'y faire. Si Inari n'appréciait pas transporter un simple humain sur son dos, elle détestait encore plus la lenteur infernal des transports que les humains utilisaient à défaut d'être encore plus lent lorsqu'il s'agit d'utiliser leurs longues jambes. Yoshino avait sorti son téléphone, organisant sa prochaine action. Comme il l'avait affirmé devant les Gardiens, il comptait faire à nouveau face aux jumeaux damnés. Il était le seul à détenir les informations à leur sujet et, de fil en aiguille, Yoshino en avait déduit leur prochain déplacement. Après tout... Eux aussi, cherchaient à s'entretenir avec lui.

- « Yoshino Tokugawa... N'oublie pas ta promesse. N'oublie pas notre pacte. » Lança soudainement Inari comme inquiète.

La déesse n'avait pas réellement confiance en l'humanité. Néanmoins, cet humain-là lui devait la vie. Sans elle, l'enfant humain qu'il était autrefois, serait mort dans l'indifférence la plus totale, au fond des bois. Yoshino avait affiché un petit sourire doux. Sa main gantée de blanc s'était posé sur la tête du renard pour le caresser délicatement.

- « Je tiendrais ma promesse. Je respecterais les termes de notre pacte. » Répéta Yoshino. - « Merci, Inari... Pour tout. » Murmura-t-il ensuite comme s'il lui confiait un secret.

Sans réagir oralement aux paroles de l'humain, Inari tendit un masque blanc où le visage d'un renard y était dessiné. Yoshino n'avait aucune idée de où elle avait déniché cet objet.

- « Je sais que les humains te reconnaîtront même avec ce masque. Seulement, il est important que les autres esprits ne puissent pas d'identifier comme un humain lorsque tu es avec moi. En portant un masque de renard, tu passeras pour l'un de mes serviteurs. La plupart des esprits ne peuvent pas différencier un humain d'un esprit s'il porte un masque. »

Les Héros comme les Criminels portent un masque. Certains pour dissimuler leur identité, d'autres pour l'aspect esthétique. Yoshino sera donc un Gardien portant un masque de renard... Il s'était un instant demandé quel surnom la presse allait bien pouvoir lui donner... En quelque sorte, cette pensée l'amusa. Il commençait à prendre goût à cette nouvelle vie, aussi étrange soit-elle.

C'est avec une difficulté impressionnante – Inari et les chemins qu'elle empruntait n'étant pas vraiment adapté au GPS que Yoshino souhaitait suivre à tout prix - que le nouveau leader des Gardiens arriva finalement sur les lieux de sa prochaine rencontre avec les jumeaux...

C'est seul, que Yoshino Tokugawa pénétra dans la forêt d'Aokigahara, situé à une centaine de kilomètre à l'ouest de Tokyo. Une forêt tristement célèbre pour sa mer d'arbres dissimulant la honte de ceux ayant abandonnés la vie.

Ce n'était pas la première fois que le Tokugawa venait ici. C'est ici même, qu'il avait rencontré Inari pour la toute première fois alors, qu'il n'était qu'un enfant perdu au milieu des bois. Son père biologique était mort d'épuisement, faute à une santé fragile et un travail trop ardu. Sa mère, quant à elle, s'était donnée la mort dans la forêt d'Aokigahara. Juste avant de s'ôter la vie, elle avait abandonnée son seul et unique enfant dans cette forêt lugubre. Il est difficile pour un jeune homme comme Yoshino de comprendre ce qui peut bien pousser un être humain à se donner la mort. Qu'importe la peine suite au décès d'un proche, qu'importe les problèmes d'argent ou le malheur sous une quelconque autre forme, le Gardien considérait le suicide comme la pire chose qu'il soit. C'est abandonner le seul espoir, la seule chance, de connaître une lueur de bonheur. Mourir dans la honte et l'indifférence... Est-ce pire que d'abandonner sa progéniture à défaut de ne pas avoir le courage de faire différemment ?

Le jeune homme au manteau blanc et au masque de renard s'était arrêté au hasard au milieu des bois, attendant. Ses yeux dorés structurés les environs. Il était attentif au moindre bruit. Plusieurs fois, le bruit causé par le déplacement d'un animal le fit sortir de son calme, jusqu'à ce qu'il aperçoive, au loin, deux silhouettes s'avançant en sa direction. Oui, la forêt d'Aokigahara était le prochain déplacement des jumeaux damnés. C'était d'une évidence... Parce qu'ils voulaient à tout prix rencontrer Yoshino. Parce que l'un d'eux était en mesure de voir l'avenir. En venant ici, Yoshino avait fait le pari que l'un des frères Murasaki était en mesure d'apercevoir le futur et, qu'ils viendraient jusqu'ici si Yoshino leur donner l'occasion d'une nouvelle rencontre. C'est cette faculté de voir l'avenir qui permettait aux jumeaux damnés de presque tout anticiper, de toujours avoir un coup d'avance sur le tout le monde. C'était leur plus grand atout.

Les frères Murasaki s'étaient arrêtés à quelques mètres du Tokugawa. Derrière son masque, le visage de Yoshino était déformé par la rage. Ses yeux s'étaient braqués avec ardeur sur les enfants damnés. Il ressemblait bien plus aux renards démons accompagnant Inari qu'au serviteur d'une divinité bienveillante.

- « Je n'ai pas de compassion. Tuer des enfants est une chose que je peux faire. » Commença le Gardien sous un ton menaçant.

- « Ce n'est pas ce que tu es censé faire...Tokugawa Yoshino. » Répondit l'un des garçons, celui portant les cheveux longs et sombres. De part son apparence, Yoshino reconnu le dénommé Kinhira Murasaki.

- « Ce que je suis censé faire... » Répéta Yoshino en baissant la tête, serrant les dents sous son masque.

- « Nous savions que tu allais finir par comprendre. Nous attendions cet entretien. » Cette fois-ci, ce fut Takenao Murasaki qui prit la parole.

Le jeune homme avait les cheveux plus courts que ceux de son frère, d'une rare couleur argentée. Tout comme Kinhira, ses yeux brillaient du même regard acier et pourpre.

Soudainement, le Tokugawa avait l'impression qu'une fois de plus, il n'était qu'un vulgaire pion sur un plateau de jeu bien trop compliqué pour qu'il puisse en saisir les règles. Que son père ou son formateur l'ait utilisé dans sa jeunesse naïve, il l'acceptait. C'était son apprentissage, un enseignement de vie. Que de simples enfants osent ainsi se jouer de lui, le blessait dans sa fierté.

- « Vous... avez tués Illarion Wolkoff ! » Rugit subitement le jeune homme. Aucun de ses proches n'aurait pu reconnaître la voix violente qu'il avait utilisé pour lancer cette accusation.

- « Tu sais que c'est faux... » Commença Kinhira.

Le faux-semblant de calme se brisa soudainement. Le coup de feu fut si rapide, si imprévisible, qu'il sembla surprendre la forêt d'Aokigahara elle-même. Kinhira tomba en hurlant de douleur, sa main portée à sa jambe touchée. Son sang s'échappait à une vitesse effrayante. Takenao s'était aussitôt jeté vers son frère jumeau, terrorisé par ce qui pouvait arriver à sa seule famille. Il fit l'erreur de tourner le dos à un homme trop sournois pour ne pas avoir anticipé que tirer sur l'un, ouvrirait une opportunité sur l'autre. Après avoir rangé temporairement son arme à feu sous son manteau, Yoshino avait rapidement retiré son katana de son fourreau. La douleur dans le dos de Takenao fut légère, mais vive. Le garçon s'était retourné un instant trop tard, le regard écarquillé de terreur, réalisant qu'il venait d'être blessé par le sabre japonais que transportait le Tokugawa. Seulement, la blessure était si superficielle, que le garçon en étai doublement surprit. Le Gardien aurait raté son coup ?

- « Avec la douleur, je doute que tu puisses utiliser ton pouvoir avec assez de précision pour ne pas blesser ton frère... » Murmura sombrement l'homme au masque de renard. Il toisait l'enfant cloué au sol par la douleur, indifférent et cruel.

Takenao s'était redressé avec colère, tendant la main vers Yoshino avec pour but d'arracher les arbres alentour afin d'écraser cet homme dangereux entre leurs troncs. Sauf que, rien ne se produisit. Le pouvoir de l'enfant damné ne s'était pas déclenché. La lame silencieuse du Gardien avait fait taire le pouvoir de Takenao. Les jumeaux damnés étaient à la merci de la colère de Yoshino.

- « Vous vouliez me rencontrer pour que je sois votre complice afin, que je vous aide à fuir le Gouvernement et les Gardiens. Les expériences secrètes que font le Gouvernement sur les enfants damnés est un crime. Rassurez-vous, je m'en occuperais plus tard. Avant... Je n'arrive pas à vous comprendre. Vous avez provoqué la mort de mon mentor. » Yoshino s'était ensuite corrigé. - « Vous saviez qu'elle allait arriver... Et malgré tout, vous êtes venus jusqu'ici pour me faire face... Dans quel semblant d'avenir avez-vous pu percevoir que je vous aiderais ? »

Si ses gestes étaient calmes et précis alors qu'il remettait son katana au fourreau, la voix qu'il empruntait était celle d'un homme fou et désespéré. Incertain quant au fait que les frères Murasaki allait lui répondre, le Gardien pointa à nouveau son arme à feu sur Takenao et Kinhira.

- « Sauve... Sauve-nous... » Grogna Kinhira entre ses dents.

Ses paroles semblaient tellement à côté de la réalité. Yoshino en avait écarquillé les yeux. Il n'arrivait décidément pas à saisir ce que ces enfants voulaient. Il en avait conclu que les deux frères avaient perdu la raison, à un moment ou à un autre de leur triste vie.

- « Cet avenir où tu nous aides... Est le seul avenir où tu es en vie, Yoshino Tokugawa. » Répondit Takenao en se plaçant de sorte à servir de bouclier humain à son frère plus lourdement blessé. Il ne pouvait pas envisager une vie sans Kinhira.

Malgré son masque, la confusion de Yoshino pouvait se lire sur tout le reste de son corps qui, fut prit d'un sursaut à l'étrange révélation.

- « Tokugawa Yoshino... Ton mentor a été assassiné. Nous avons aperçu l'homme ayant provoqué l'explosion s'enfuir peu après notre rencontre... Rien ne nous permettait d'anticiper que cette personne serait sur les lieux de notre rencontre... » Poursuivit le garçon aux cheveux argentés.

Yoshino serra les dents jusqu'à s'en faire mal aux gencives. Il le savait. Il le savait depuis le début. Il avait tourné le dos à cette information parce qu'il était tout bonnement incapable de l'accepter. Le meurtre d'Illarion Wolkoff avait été orchestré par les Tokugawa. Le jeune homme au manteau blanc savait qu'il était le seul coupable à la mort de son formateur. C'est parce qu'il avait tourné le dos à Masazane Tokugawa, son père adoptif, que son clan s'était senti menacé au point de se retrouver dos au mur... Et contraint de commettre ce que Yoshino ne pourrait jamais pardonner.

- « Vous sauvez... Je dois vous sauver parce que, vous êtes les seuls à connaître un avenir où je ne vais pas mourir ? Ri-di-cule ! » Cracha le jeune homme. La main sur son arme tremblait.

Voyant que le sang de Kinhira commençait à colorer les feuilles mortes servant de tapis à la forêt, Takenao fut prit de panique.

- « Non, Tokugawa Yoshino ! Tu n'existes que dans cet avenir ! Dans les autres chemins que peut emprunter le destin, Yoshino Tokugawa n'existe pas ! » S'énerva le garçon.

Le regard dur comme l'acier de Takenao s'était confronté à celui fait d'or et de rage du Tokugawa. Aussitôt avait-il compris ce qu'il était en train de faire, aussitôt il baissa les yeux. Yoshino réalisa à cet instant que les jumeaux en savaient réellement beaucoup sur lui...

Comme figé dans le temps, le jeune homme regardait le garçon face à lui sans le voir. Ce que ce dernier disait n'avait pas le moindre sens... Bien que... Si Inari n'avait pas sauvé l'enfant qu'il était autrefois, Yoshino Tokugawa n'aurait alors jamais existé. Pourquoi ne l'aurait-elle pas sauvé dans d'autres... chemins ? Inari est une déesse protectrice... Ses actes ont forcément du sens et des conséquences.

- « J'ai donc un rôle à jouer... » Souffla le Tokugawa pour lui-même.

- « Tokugawa ! » Cria soudainement Kinhira, sa voix déformée par la douleur. Il capta toute l'attention du Gardien. - « Je te le demande... Je te le demande ! Juste une dernière fois... SAUVE-NOUS !! » Hurla l'enfant avec désespoir.

L'homme au masque de renard baissa son arme. Vidé de sa rage et à bout de force, il se laissa tomber à genoux.