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Éliane Éléonore Frédérique Deslys de Bellegarde | Civile [Validée]
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Ven 23 Mar - 9:05
Éliane Deslys de Bellegarde
Nom : Deslys de Bellegarde
Prénoms : Éliane Éléonore Frédérique
Race : Humaine, jusqu’à une certaine époque. Autre chose.
Sexe : Demoiselle de physique
Âge : 105 ans
Anniversaire : 6 Mai
Nationalité : Française
Classe sociale : Aristocrate
Groupe : Civile
Métier : Mécène, exposante et négociante d’art
Sexualité : Asexuelle
Loisirs : Converser, observer, découvrir.
Pseudo sur Kaibyou : SeraphinEleonore
Particularité : Morte et tout à fait normale.
Avatar : Sajyou Manaka - Fate/Prototype
Mental
Éliane n’est… pas humaine. Au sens littéral du terme. Elle est étrangère à de nombreux concepts et moyens de communication suggestifs naturels qui sont ordinaires entre les être humains. Si elle a appris à en repérer et à en utiliser au cours de son enfance et des années qui ont suivi son réveil, elle n’en reste pas moins fondamentalement étrangère aux nombreux leviers et affects partagés par les humains “normaux”. En cela, et en cette pure définition seulement, Éliane est ce que l’on appelle dans le domaine médical un sociopathe. Un être incapable de ressentir et de partager les sentiments humains, bien qu’elle s’efforce de les comprendre et de composer avec.

La jeune femme est entièrement dénuée d’empathie et ne fait aucune différence entre l’instinct impulsif et l’intellect réfléchi. En revanche, et c’est chose étonnante, Éliane est dotée d’une personnalité naturellement compatissante envers les êtres vivants. Plus encore, elle est totalement désintéressée et se montre particulièrement polie et respectueuse. Si elle est incapable de partager leurs joies et leurs peines, elle accorde une grande attentions aux états d’âme des êtres qu’elle observe et avec lesquels elle interagit. Ceux-ci lui permettent certes de mieux les comprendre et de communiquer plus efficacement avec ces derniers, mais il s’agit avant tout d’une profonde honnêteté de la jeune femme vis-à-vis de ceux-ci. Pour ce faire, elle s’adapte à chaque interlocuteur, prenant la forme qui leur répondra le mieux à mesure qu’elle les découvre et apprend d’eux.

Et si elle ne porte que peu d’estime et d’intérêt au final à leurs affaires, elle en accorde bien plus à leurs pensées et à leurs désirs. Et voir ces derniers prendre forme et se développer est devenu pour elle un passe-temps, une curiosité qu’elle poursuit sans parvenir à se lasser ou à en saisir la futilité. Et c’est d’ailleurs cette attention curieuse pour la concrétisation de ces pensées - qui n’est certainement pas sans lien avec sa nature propre - qui la fait avancer aujourd’hui dans cette société humaine qui restera à jamais pour elle un mystère dont elle n’est qu’une distante observatrice.

Physique

Éliane possède le corps d’une jeune fille de de 14 ans. Blonde, la peau blanche, de grands yeux bleus pâles ornant un visage encore légèrement poupin, elle a tout ce que l’on peut attendre d’une jeune fille européenne issue de l’aristocratie. Son apparence fine et délicate dégage une impression de préciosité et de raffinement que ses traits fins d’enfant soulignent encore davantage. Néanmoins, le rêve faisant son office, son âge n’est jamais certain et elle n’est pas toujours perçue comme une jeune adolescente. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’elle apparaisse aux yeux de certains comme âgée de bien dix ou vingt années de plus, notamment auprès de ceux qu’elle fréquente longtemps, sans que cela ne dérange qui que ce soit.

Il s’agit bien d’une jeune femme, également pourvue, à sa mesure, en tout ce que l’on pourrait en attendre. Une coiffure simple et entretenue, une posture droite et noble, des gestes mesurés et précis qui contrastent un peu avec l’innocente naïveté que la simplicité de son apprêtement et son visage juvénile tendent à mettre plus en avant. Une mesure que l’on retrouve d’ailleurs dans ses expressions. La jeune femme porte en permanence un sourire simple et poli sur ses lèvres, soulignant ses yeux attentifs dans un air radieux, lui octroyant l’expression d’une spectatrice appliquée et demandeuse, tout en dégageant un sérieux certain.

Plus rarement, elle s’essaie à mimer les expressions que ses années d’entretiens et de conversations lui ont apporté, et s’autorise quelques mimiques plus marquées, comme le rire franc ou la bouderie. Si cela n’était pas évident au début, les années de pratique lui ont permis de développer un étonnant jeu d’acteur, dont elle use plus par souci de communiquer convenablement avec ses interlocuteurs que motivée par quelques sombres desseins, rassurez-vous.

Un dernier point, qui a son importance : sous les plis et les dentelles de son éternelle robe bleu azur, Éliane porte un les stigmates d’une blessure profonde dont elle souffre encore aujourd’hui. Et profonde, la plaie l’est, puisqu’elle traverse le torse de la jeune femme de part en part, naissant entre ses seins et le finissant dans son dos, entre ses omoplates. Une coupure rouge béante qui traverse son cœur - qui, naturellement, ne bat plus - ornée d’une marque sombres aux contours curieux rappelant des ailes qui s’étendent sur ses bords. Bien que la vision peu commune du trou qui orne son buste ne soit, dans l’absolu, pas un problème pour elle comme pour les âmes ignorantes qui l’entourent, elle prend néanmoins soin de le couvrir lorsqu’elle se présente à d’autres. Question de tenue.
Mademoiselle
Nom du Pouvoir : She-Whose-Bleeding-Wounds-Are-Covered-With-Flowers
Nature du Pouvoir : "Don"
Costume :
Aucun costume particulier, si ce n’est son éternelle robe bleue brodée de dentelles blanches. Elle ne la quitte pour ainsi dire quasiment jamais. Ceux qui ont l’habitude étrange de la fréquenter suffisamment savent que cette robe existe en deux modèles. Si celle que l’on voit le plus souvent n’a rien de particulier - en-dehors du fait d’être d’un raffinement certain pour une demoiselle - il en existe une autre version bien moins innocente : les cordons de tissu du corset sont tranchés dans son dos, et l’avant est largement ouvert, découvrant les épaules et le buste de la jeune femme, ainsi que l’intrigante plaie béante fichée au milieu de sa poitrine. De part et autre, la fine dentelle cousue autour du col comme le tissu bleu qui compose la robe sont tachés de sang frais. Rares sont ceux à garder souvenir de cette robe-ci. Plus rares encore sont ceux qui en connaissent l’histoire.

Description :
Éliane n’est pas humaine. L’a-t-elle été à un moment ? Peut-être. Qu’est-elle donc aujourd’hui ? Tous l’ignore. Certains pensent sans doute qu’il s’agit d’un ange, d’autres sont certains qu’il s’agit d’un démon. Les sceptiques parient sur une rumeur stupide de plus, et les plus fous quant à eux sont capables d’imaginer toutes sortes de théories, des plus enfantines aux plus dérangeantes.

Elle-même n’en a pas réellement conscience. Éliane n’est pas un être que l’on envisagerait facilement. Éliane est… autre chose.

Si l’on devait la rapprocher de quelque chose que tout le monde connaît, Éliane serait un rêve. Absent. Incompréhensible. Abstrait. Pas n’importe quel rêve, et pas non plus le rêve. Et certainement pas juste un rêve. Une entité coupée du monde réel, donc le corps physique, tangible, qui parcourt cette terre n’est qu’un organe, une extension. Une ancre pour percevoir le monde avec des sens, pour pouvoir ressentir son existence et interagir avec lui. Une interface pour pouvoir s’approcher des autres êtres, les imiter, chercher à les comprendre, les découvrir, agir, sans en avoir conscience. Une conscience de soi est quelque chose d’absurde pour un rêve.

Le corps de cette entité, Celle-dont-les-Plaies-Saignantes-sont-couvertes-de-Fleurs, n’a d’autre réalité physique que celle de cet organe sur ce monde. Mais, bien qu’intangible, ce corps est en vérité bien plus vaste, si tant est que le concept de grandeur puisse s’appliquer à un rêve. Le rêve déborde en permanence autour de son ancre de chair et touche toutes les consciences, ou plutôt les inconsciences, se manifestant aux sens de ceux qui l’entourent sous la forme d’un jardin lumineux, aux arches et dalles de pierre vieillie couverts de tiges, de feuilles et de fleurs bleues, rouges ou blanches.

Puisqu’elle tient du rêve, cette présence est évanescente, éphémère. Mais, s’agissant de rêve, il n'est le plus souvent pas réalisé comme en étant un. Cette influence semble normale, naturelle, et personne ne s'en étonne, pas plus que quiconque ne s’étonne des événements déjantés et insensés qui se produisent dans ses propres songes. À l’image des autres rêves, les êtres capables de rêves les traversent sans s’en étonner, sans s’arrêter pour se questionner, et les oublient dès lors qu’ils sortent du songe, ne gardant tout au plus que des bribes décousues de souvenirs confus qui s’effacent dans les heures qui suivent.

Éliane n’est pas une composante du rêve. Elle est le rêve. Le jardin est ce qui pourrait s’approcher le plus de “son corps” et “sa conscience”. Et, tristement ou non, tout cela s’applique aussi à Éliane elle-même : ses apparitions, ses actions, ses paroles, tout semble normal, naturel, et les rares mémoires qu’elle parvient à marquer durablement le sont autant que les âmes capables de prendre conscience de la nature onirique du jardin qu’ils traversent, risquant pas là-même d’en rompre le charme ou, dans des cas plus rares encore, de continuer d’y évoluer sciemment sans en briser le voile.

Les rêves existent, puis cessent, éphémères. Mais, elle, persiste. Si ce n’était pour cette ancre en forme de femme, elle cesserait peut-être d’exister. Ou peut-être persisterait-elle encore, dans l’ignorance absolue du reste des créatures de ce monde, bien incapables de percevoir l'évanescente bulle de songe, et moins encore de la considérer comme une existence. Elle existerait, sans pour autant être. Elle serait, sans pour autant exister.

C’est sans doute cette étrangeté, cette ambiguïté qui lui a permis de ne pas cesser d’être lorsque, près d’un siècle plus tôt, une lourde lame d’acier, guidée par les mains un homme désespéré en proie à des visions folles, est venue déchirer son coeur. C’est sans doute à cet instant que tout s’est arrêté. Qu’elle a cessé d’exister, mais qu’elle a continué à être. Comme si elle s’était soudain rétractée sous la douleur, sous la morsure aiguë du métal planté au plus profond de son être, suspendue entre vie et mort, scindée entre réalité et songe, une épée fichée à jamais dans sa poitrine comme si on l’avait clouée à la frontière de l’existence. Un poids glacé qui fait désormais partie d’elle.

Aussi cynique que cela puisse paraître, l’action folle de cette homme a peut-être été la solution qui a permis à Éliane de pouvoir “vivre” durablement. Elle ne vieillit pas, bien que son apparence soit influencée par sa nature onirique, pas plus qu’elle ne souffre de maux physiques. Dans le même temps, sans cette clé pour sceller son sort, son impact sur le monde serait beaucoup plus désastreux et chaotique, et nombre seraient ceux qui plongeraient dans une folie identique, si ce n’est plus profonde encore, à celle que connut le pauvre homme, le poids du songe broyant, brisant les esprits.

Une bonne chose, à n’en point douter. Qui sait ce qu’il se passerait, durant le court instant avant que ce corps ne meurt, si l’on venait à la sortir de sa torpeur en arrachant la clé fichée son coeur ?

… Cela ferait sans doute une très belle histoire.


Présent

Il y a vingt ans, lorsque la Faille Noire a englouti l’Amérique du Sud, Éliane s’est réveillée d’un coup à des milliers de kilomètres de la France, au beau milieu de Tokyo. Perdue dans un premier temps, elle a erré pendant plusieurs semaines dans un état second, complètement déconnectée du monde, spectatrice de la vie de centaines de milliers d’hommes et de femmes aveugles à son existence. Puis, peu à peu, les fragments de mémoire et de personnalité ont commencé à se reformer dans son esprit. Sa perspicacité et sa nature… particulière, lui ont ouvert des portes étranges, et amenée à faire des rencontres étonnantes.

Vingt années plus tard, forte d’une expérience humaine retrouvée et de nouveaux liens avec ce monde étrange, Éliane a créé sa place dans cette ville agitée. Connue sous le nom de “Mademoiselle”, sa curiosité a trouvé écho dans le besoin de fonds de nombreux artistes dont elle finance les projets et expose les oeuvres. Peut-être vous racontera-t-elle un jour comment cela lui est venu, et comment ses affaires ont commencé. Cette histoire vaut le détour.

Le “salon de Mademoiselle” est installé quelque part à Harajuku, en bordure d’Omotesando, non loin du parc Yoyogi. Un “salon” dans lequel officie sa gouvernante, Mlle Hono, et qui prend des allures de manoir bordé d’immenses jardins lorsque que Mademoiselle descend pour accueillir ses invités. Éliane y reçoit artistes et amis, et plus rarement des individus perdus… ou curieux. Elle-même s’accorde des sorties fréquentes dans les rues de la ville, ignorée par les habitants de Tokyo, alerte toujours de trouver une nouvelle conscience à fleurir de son onirique sourire.
Histoire


"Hahahahaha..."

Le son des rires résonne dans le jardin silencieux. Entre ses pierres et ses lierres, les voix à l'écho cristallin se percutent, se mélangent, s'envolent et, après quelques secondes, se fanent et disparaissent vers le ciel étoilé qui les réclame.

... Elles ne reviendront pas.

Celles qui résonnent maintenant sont différentes, et s'empressent de remplir l'atmosphère parfumée, comme pour effacer l'absence de leurs prédécesseurs, comme pour, avec hâte, les remplacer, les oublier. Comme si le jardin pressé revêtait un masque et lui disait...

Ne t'inquiète pas. Tout ne peut qu'aller.

Après tout, c'est vrai. Tout ne peut qu'aller.

Elle ferme les yeux et respire, profondément. Ses narines inhalent le parfum évanescent des fleurs qui couvrent les murs vieillis. Comme les voix, le parfum envahit ses sens et obscurcit son esprit, écrasant toute pensée, ne laissant derrière lui que la senteur pâle d'une couleur dissipée, et la fraîcheur de l'air qui le porte à ses oreilles.

Aaaaaaah...

Le soupir s'efface, et avec lui le coeur.

Autour, le monde s'anime à nouveau et sort de sa torpeur dans toute une agitation. Le chahut, les éclats, le soleil et les voix s'élève et doucement, le monde reprend possession de ses sens.

"... onore ? Éléonore ?"

La voix qui s'étend à côté d'elle est douce, mais agacée. Elle entrouvre les yeux. Le brouhaha soudain l'aveugle.

"Éléonore ! Enfin, répondez-moi quand je vous parle !"

La jeune fille se redresse soudain.

"P-pardon mère, j-je... Un moment d'égarement, je crois que je me suis assoupie, je..."

"Eh bien, enfin. Aaaah..."

Assise à côté d'elle à l'ombre du parasol, la dame, richement habillée, se repose à nouveau sur le dossier de sa chaise de fer blanc, ses longues mèches blondes dépassent de son chapeau pourpre frénétiquement agitées par le souffle de son éventail.

"Vous étiez encore perdue dans votre rêverie ? Quelle fille distraite vous faites, Eléonore."

"... Je suis désolée Mère..."

"Enfin ! Avec cette chaleur, je dois avouer que je serais moins aussi bien tentée de céder à l'envie de m'éclipser pour faire une courte sieste."

Elle referme brusquement son éventail et son visage s'éclaire d'un sourire complice. Se penchant sur la petite table protégée du soleil, Madame de Bellegarde saisit d'un pichet d'eau claire et en verse dans un petit verre qu'elle tend à la jeune fille hagarde.

"Tenez, buvez, cela vous fera du bien."

"Merci..."

La jeune fille le porte à ses lèvres et le vide lentement. L'eau fraîche chasse rapidement les dernières chapes de brume qui obscurcissaient son esprit, ainsi que la sécheresse qui enserrait sa gorge. Rafraîchie, Éléonore pose ses deux mains sur la surface froide du verre qu'elle garde posé sur ses genoux, prenant garde de ne pas mouiller sa robe blanche. De retour à ses sens, son attention se porte sur l'agitation qui l'entoure. Quelques secondes s'écoulent avant qu'elle ne se souvienne.

"Que vouliez-vous me dire, Mère ?"

"Oh, rien de bien important. Je commentais la réussite de la réception de Madame de Clicquot. Je ne m'attendais pas à ce qu'autant d'invités se présentent, votre père doit être aux anges et bien occupé à l'heure qu'il est."

"Oh. Oui, c'est vrai, vous avez raison, il y a beaucoup de monde."

Autour d'elles se dressent une vingtaine de tables identiques à la leur, ainsi que quelques tentes pleines d'effervescence dressées sur le vaste parterre d'herbe. Le soleil et sa chaleur dominent le ciel sans nuages de cette après-midi d'été, et nombre de convives ont trouvé refuge à l'ombre des toiles et des ombrelles, rassemblés autour des buffets pour se rafraîchir et discuter. Au-delà, sur l'étendue verte du jardin, seuls les enfants et quelques groupes d'intrépides se risquent à affronter la chaleur cuisante pour jouer au croquet ou à la balle, à grands renforts de rires et d'éclats de voix. Assises à l'écart, Eléonore et sa mère profitent distraitement de la scène.

"Vous êtes sûre de ne pas vouloir jouer avec les autres enfants ? La petite Léonie du Villard va bientôt fêter ses sept ans, vous savez. Vous avez le même âge, je suis certaine que vous pourriez vous entendre."

D'un signe de tête, Madame de Bellegarde désigne un groupe d'enfants, visiblement très occupés à une affaire visiblement très sérieuse, installés à une vingtaine mètres d'elles. La jeune fille lui adresse un sourire doux et poli.

"Si vous y tenez mère, j'irai. Mais je préférerais rester ici, avec vous."

Cette dernière soupire avec un air légèrement las.

"Eléonore, Eléonore... Que vais-je bien pouvoir faire de vous, si vous commencez si tôt à me résister ?"

"Oh, Annette ! Vous êtes là !"

Elles tournent toutes deux la tête vers l'homme bruyant qui les hèle et qui s'approche à grands pas. Sec, de taille moyenne, des cheveux noirs de jais mi-longs coiffant un visage anguleux, Monsieur de Bellegarde parcourt les derniers mètres qui le sépare de sa femme et de sa fille en trottinant, une petite assiette à la main, un sourire radieux sous son imposante moustache.

"Ah, Éliane, vous êtes là également. Je pensais que vous seriez allée jouer avec les autres enfants ?"

"Il fait un peu trop chaud dans le jardin, père."

"Elle rêvassait encore il y a peu, Ernest."

"Encore ?"

"Votre fille est vraiment incorrigible, très cher."

"Mmh... Vous avez raison Annette."

Il s'arrête un instant et dévisage la jeune fille avec un air concerné, ses longs doigts fins caressant son menton glabre.

"Mais... Pour tout vous dire, je pense la vôtre bien pire en vérité."

Les deux adultes échangent un regard inquiet... Avant de s'esclaffer en chœur, sous le regard interrogateur de la jeune fille qui les rejoint rapidement dans leur plaisanterie. Monsieur de Bellegarde pose l'assiette sur la table et s'installe à côté de sa femme, saisissant délicatement la main d'albâtre que son épouse lui tend.

"Aaah... Mais vous avez raison, quelle chaleur. L'intérieur de cette tente est un véritable enfer !"

"Oh, vraiment ? Vous m'aviez pourtant tout l'air d'être comme un joyeux diable avec ces autres messieurs."

"Que voulez-vous, nous parlions d'auto ! Nos affaires nous prennent au cœur, ma chère, et croyez-moi quand je vous dis que 1920 nous réserve encore des surprises !"

Ernest rit de bon cœur à nouveau, accompagné par le rire doux et affectueux de sa femme.

"Tenez, je vous ai ramené un peu du gâteau. Profitez-en bien, car c'est la dernière part que j'ai pu chaparder !"

"Quel brigand vous faîtes, Ernest !"

"Tout ce qu'il faudra pour mes deux anges, haha !"

D'une main, il se saisit d'un couvert et divise le butin en trois larges part, puis en pousse une vers la jeune fille.

"Tenez Éliane, voilà pour vous. Régalez-vous !"

"Oh, merci Père !"

La jeune fille sourit poliment et attrape l'assiette tendue par son père. Elle se saisit d'une fourchette et la plonge sans attendre dans la mousse blanche du gâteau.

Ses parents déjà repartent de plus belle, et le goûter s'anime autour des tirades exagérées de son père et des gloussements attendris de sa mère.

Le sucre fond rapidement dans sa bouche. Un vent frais se met doucement à souffler et le tissu de l'ombrelle vacille légèrement, libérant quelques rayons d'un soleil ardent qui illuminent alors la blancheur du décor et l'éclat de leurs yeux. Une image sereine, témoin d'un souvenir simple. Et précieux.

...

...

...

Vous souvenez-vous, Mère, de ces jours tendres ? De ces jours où vous pouviez toujours sortir, sourire et briller sous le soleil ? Avant que l'on ne ferme vos rideaux, que l'on ne vous porte jusqu'au lit, que l'on vous entoure de bouquets qui dérobent la lumière qui ne peut plus vous toucher. Que l'on vous embaume de silence.

Je n'en garde garde que quelques bribes, quelques sensations. Certaines images me reviennent sans mal, et mes sens se souviennent sans peine de quelques fragments brumeux de ces jours passés. La saveur du sucre, le scintillement de vos cheveux, la douce caresse de votre voix et de ses accents enfantins. Je me souviens pourtant que tout cela a existé. Mais je ne parviens pas à m'en inquiéter. Peut-être que je ne réalise pas encore, malgré ces cinq années, le sort malheureux qui est le vôtre ? Ou peut-être ai-je déjà accepté, bien facilement, que c'est là ce que le destin, si une telle chose existe, vous aura réservé ?

En toute sincérité, Mère, je ne sais qu'en penser. Je ne ressens pas même le besoin d'y trouver une réponse. Qui sait si ce n'est pas mieux ainsi ?

Père est certainement celui qui souffre le plus de voir ce mal vous ravir à lui. Si le souvenir des jours d'avant m'est étrangement lointain, et que je semble malgré moi m'être déjà habituée à votre triste situation, père ne peut lui pas s'y résoudre. J'éprouve une grande peine pour lui, autant que pour vous, mais je ne vois malheureusement pas d'issue. Il ne semble pas réaliser que vous êtes déjà un peu partie, ou du moins il ne veut pas s'y résoudre.

Notre très chère gouvernante Honorine, que vous aimiez, tant a finalement décidé de nous quitter à son tour, non sans exprimer sa profonde tristesse de devoir vous abandonner. Mais les affaires de Père étant ce que vous savez qu'elles sont, nous n'avions plus les moyens de lui permettre de vivre ici. Ne vous inquiétez pas cependant : Madame Honorine a promis de vous rendre visite régulièrement, et je lui ai promis de lui faire parvenir de vos nouvelles aussi souvent que possible. Et avant de partir, elle a tenu à m'expliquer comment bien entretenir notre maison. Peut-être cela vous ferait-il rire, mais c'est à présent à moi qu'il incombe de tenir les lieux, et je m'y applique avec assiduité.

Ceci pour vous annoncer la triste nouvelle que, désormais, il ne reste plus entre ces murs que nous trois. Père et moi nous croisons rarement en dehors des repas, mais nous ne nous adressons plus vraiment la parole. Comme lui, toute la maison s'est enfermée dans le silence, comme si nous partagions avec vous la compagnie de votre chambre. Tout est devenu immobile et sombre.

Seules les quelques visites que nous recevons parfois viennent perturber la torpeur qui s'est abattue dans notre maison. Il n'y a que cela qui sorte Père de son bureau ces temps-ci. Le médecin ne vient plus vous voir que deux ou trois fois par semaine désormais. J'ai l'impression qu'à chacune de ses venues, le visage de Père retrouve quelques couleurs. Sans doute dans l'espoir d'une nouvelle rassurante. Il le retient des heures durant pour lui exposer des idées, des solutions qu'il a glanées ici et là auprès de ses connaissances et de ses anciens collègues pour essayer de trouver un remède, ou un miracle. Le médecin l'écoute sans mot dire, et chaque fois qu'il finit par prendre congé, le visage de Père se fait immanquablement plus grave, et ses épaules plus basses.

En ce qui me concerne - et vous le déploreriez - je ne reçois pas plus de visites ici que ce que vous me connaîtriez d'ordinaire. Père, lui, en reçoit quelques-unes. Je ne connais évidemment pas le détail de ses affaires, mais maintenant que je vous en parle, je réalise que cela fait longtemps que Monsieur de Clicquot, son partenaire, n'est passé nous voir. Je ne devrais pas en être surprise, mais encore une fois, cela me peine pour Père.

Depuis quelques temps en revanche, Père reçoit régulièrement la visite d'un certain cercle de messieurs. Ils se présentent toujours le soir-même, fort bien habillés, sans avoir été annoncés. Madame Honorine s'est plus d'une fois étonnée que Père ne l'aie pas prévenue de leur venue, gênée bien sûr de ne pas avoir pu préparer leur arrivée. Mais cela n'a jamais semblé gêner Père. Il arrivait toujours rapidement et la remerciait en hâte avant de se tourner vers ses invités. J'ai d'abord pensé qu'il pouvait s'agir là de nouveaux partenaires et, comme vous le souhaiteriez sans doute, j'ai essayé à maintes reprises de m'approcher pour les saluer comme la politesse l'exige. En vain seulement, car à chacune de mes tentatives, Père me jette un regard d'une dureté que je ne lu...



"... léonore..."

"..."

"Éléonore... c'est toi ?"

La voix est faible, cassée, semblable au craquement d'une planche. La jeune fille lâche la plume et la repose en douceur sur le pupitre, à côté de la feuille à moitié noircie par son écriture.

"Oui Mère, c'est moi. Je suis ici, à côté de vous."

"Éléonore... Je me suis encore endormie ..?"

"Oui Mère. Vous dormiez, et je veillais sur vous."

Elle rebouche prudemment son encrier en veillant à ne pas se tacher les doigts, puis se tourne vers sa mère et lui saisit délicatement sa main. Les doigts secs et glacés se referment faiblement sur les siens.

"Que.... quelle heure est-il... Je dois accompagner ton père... le jardin..."

"Ne vous inquiétez pas Mère, restez allongée. Père dit qu'il faut que vous vous reposiez."

"Aah... aah... Je ne veux pas être... en retard..."

La main de la jeune fille caresse fébrilement les mèches grises ébouriffées qui coiffent la tête posée sur l'oreiller, révélant les traits émaciés de la femme alitée. Annette de Bellegarde s'agite, une profonde inquiétude gravée sur son visage. Sa respiration s'emballe. Son regard s'affole, et ses yeux opaques brûlés par le soleil bougent frénétiquement dans leurs orbites.

"Éléonore... Les... Les fleurs... Elles sont là, n'est-ce pas ? Le jardin... Il faut que j'avance sur... oui... là..."

"..."

"La lumière... Elle est si belle, Éléonore... La vois-tu ?"

"... oui, Mère."

"Tu la vois, n'est-ce pas ? C'est bien, c'est... C'est très très bien... Elles sont là-haut, tu sais, et il me les a volées... Mais elles ne partiront pas, elles ne partiront pas... Tu le sais, n'est-ce pas ?"

"Oui Mère. Ne vous inquiétez-pas, je veille sur elles tous les jours."

"Ne les quitte jamais, Éléonore, tu m'entends ? Ne le laisse jamais s'approcher. JAMAIS... Tu comprends ?"

"Oui Mère. Je comprends."

"C'est bien... Il rôde, je le vois, noir comme le charbon de l'Enfer, affamé, je le sens... qui saccage mon précieux jardin..."

La main glacée sursaute entre les doigts de la jeune filles, qui caresse tendrement la joue de sa mère. Ses yeux sont rivés sur le haut plafond qui les surplombe, son regard perdu, ses traits figés entre la colère, la douleur et la tristesse. Une larme roule le long de sa tempe. Lentement, les sanglots étouffés commencent à secouer sa gorge décharnée.

"Je ne veux pas... J'ai peur, Éléonore, j'ai si peur pour lui... Pour moi... Je ne veux pas qu'elles disparaissent... Je ne veux pas qu'il les dévore… Je ne veux paaaas..."

À nouveau, les pleurs envahissent la pièce plongée dans les ténèbres. À l'aide d'un mouchoir posé sur la table de chevet, la jeune fille essuie délicatement les joues trempées de larmes de sa pauvre mère et la redresse avec douceur. Avec un sourire attendri, elle glisse son bras autour des maigres épaules de la femme immobile, et l'étreint tendrement, son visage chaud posé contre la joue humide et tremblante de sa mère, qui se raidit soudain.

"Ne vous inquiétez pas. Je suis là, avec vous. Tout ne peut qu'aller."

Autour d'elles, les sanglots résonnent encore comme des murmures, et finissent par se perdre, couverts par un bruissement de feuilles et de tiges. L'atmosphère moite de la pièce semble se dissiper un peu, sa chaleur pesante chassée par l'arrivée d'un courant d'air chargé de parfum et de fraîcheur. La faible lueur des astres peine à percer entre les plis des épais rideaux agités par le souffle. Leur douce lumière se répand pourtant, et rampe lentement sur la pierre granuleuse, glisse entre les arches jusqu'au pied du lit bordé de fleurs, se jouant des lierres et des reflets bleutés qui l'habillent.

"Les... les pétales, Éléonore... Je les vois qui s'envolent... Je les vois..."

"Ssshhh... Vous devez vous reposer, Mère."

"Je ne peux... Non, je ne veux pas... Pas encore, non..."

"Fermez les yeux, calmez-vous."

"Non..."

"Tout ne peut qu'aller, je vous l'ai dit n'est-ce pas ? Faites-moi confiance."

"Non Éléonore, pas encore... Je t'en supplie, pas encore..."

"Dormez, maintenant. Laissez-moi veiller sur vous."

...

...

...

"MEURS !"

"..."

"MEURS !"

"..."

"MEURS ! MEURS ! MEEEEEEEURS !!!"


Chaque hurlement est accompagné par un bruit mat. Chaque cri est suivi d'un râle rauque. Inlassablement, il lève ses maigres bras au-dessus de sa tête et les abat sur le corps inerte. Sa respiration est haletante, et des gouttes de sueur perlent le long de ses yeux terrifiés. La lame épaisse obéit sans faillir à ses mouvements fébriles. Inlassablement, elle traverse la cage thoracique éventrée, dans un sens, puis dans l'autre, et s'enfonce chaque fois un peu plus dans le bois du plancher.

"MEURS !"

Ses genoux baignent dans un large flaque carmine reflétant la lumière dorée du crépuscule. Sa chemise, autrefois blanche, est imbibée de rouge vif. Ses mains tremblantes trouvent encore la force de serrer davantage la lourde garde couverte de cuir à laquelle ses doigts semblent soudés. Un douloureux rictus tord son visage enflammé, déformé par la fièvre qui anime ses gestes et épuise son souffle, son regard affolé rivé sur la plaie béante qu'il ne cesse de creuser encore.

Et encore.

Et encore.

Et encore.

"... Père..."

"MEEEEEEEEURS !!!"

Un nouveau hoquet secoue le corps violé par l'acier. Une main blanche et frêle s'élève lentement à côté du corps, cherchant à atteindre de ses doigts fins couverts de liquide vermillon la joue pâle et rugueuse de l'homme dont elle souffle le nom. À peine effleurent-ils la surface de sa peau fiévreuse qu'un froid glacial transperce tout son corps. Ses yeux sautent vers le visage de la jeune fille. Un murmure s'échappe de ses lèvres entrouvertes, au coin desquelles coule un épais filet de sang. En réponse à son regard horrifié, ses deux yeux lui sourient. Il s'éloigne d'un bond paniqué, lâchant son outil dans la panique, et recule frénétiquement, ses mains tâtant les murs autour de lui, cherchant à mettre le plus de distance possible en lui, et la chose.

"N-NON !! Reste où tu es, démon !!"

"..."

"NE M'APPROCHE PAS !!!"

"... Père... J'ai mal..."

"TAIS-TOI !!!"

Son dos finit par buter contre un coin de la pièce. Il respire difficilement. Ses mains tremblantes collées aux parois comme pour vérifier qu'il n'y a plus moyen pour lui de s'éloigner encore davantage. Son regard s'agite, scrutant l'un après l'autre chaque coin de la pièce comme si quelque chose pouvait à tout moment surgir des ombres projetées par le soleil couchant.

Un mouvement au centre de la pièce accapare soudain toute son attention. Au milieu de la grande flaque rouge, la robe bleue pâle déchirée aux dentelles imbibées de sang s'élève doucement. Appuyée sur mains plongées dans le liquide tiède, la jeune fille se redresse avec difficulté. Sa tête s'élève, portée mollement par sa nuque qui suit le mouvement de son torse et de ses épaules dénudées, ses cheveux clairs englués sur sa peau, ses yeux cernés fixés au-dessus d'elle, une expression confuse peinte sur son doux visage sali.

Sous elle, la surface chatoyante du liquide vermillon s'écoulant de sa plaie frémit, et se trouble, puis se flétrit progressivement, formant de fines rides carmines jusqu'à paraître totalement sèche. Un léger bruissement se répand dans la pièce. Une à une, les rides se détachent par petites parcelles du sol, portées par une fine tige ornée d'épines. Les plissement s'allongent, s'affinent jusqu'à devenir en tout point semblables aux pétales d'une rose. Elles poussent peu à peu, fleurissant sur le bois du plancher autour de la large tâche brune, tandis qu'un froissement végétal accompagne l'avancée du lierre rampant qui tapisse lentement les meubles et les murs.

"Non... non..."

"... Père..?"

"RESTE OÙ TU ES J'AI DIT !!!"

Ernest saisit le premier objet que sa main rencontre - n'importe quoi - et le jette violemment sur sa fille dans un mouvement paniqués. L'horloge frappe violemment la tête dans un bruit sourd avant de retomber sur le sol. Un nouveau filet de sang s'écoule de sa tempe. Elle s'arrête, une fraction de seconde. Un soupir résonne et se répand dans l'air comme un chuchotis accompagné par un craquement sinistre. Son regard se tourne vers son père terrifié. Tendant une main tremblante vers l'étagère désormais dépourvue de son horloge, celui-ci commence à frénétiquement lancer tout ce qu'il peut trouver en direction des feuilles et des fleurs qui rampent vers lui.

"MEURS !! MEURS, TOI ET TES SATANÉES FLEURS, TON SATANÉ JARDIN !! JE N'EN PEUX PLUS, LIBÉREZ-MOI SEIGNEUR... S'il vous plaît, libérez-moi... Je vous en supplie..."

Ses forces l'abandonnent, petit à petit. Qu'importe ses efforts, lutter est vain.

"Même ça... Je vous en supplie... J'en ai assez... Il faut que ça s'arrête..."

L'homme tombe à genoux, ses bras ballants le long de son corps, dépossédé de sa force. Il sanglote, impuissant, sa gorge secouée et serrée par l'angoisse laissant s'échapper quelques gémissements plaintifs entre ses lèvres desséchées.

"S'il vous plaît... Rendez-les moi... Arrêtez... Laissez-moi... Laissez-moi dormir..."

Ses yeux baignés de larmes scrutent le vide devant lui. Un bruit mat résonne sur le plancher. Ses yeux s'écarquillent, soudain. Sa respiration s'accélère, ses pupilles se dilatent au contact des reflets bleutés qui envahissent son champ de vision. Les pétales, par centaines, tombent des roses qui fleurissent tout autour de lui. Au centre du jardin, dans une vive clarté, se découpe une silhouette familière, appuyée contre la pierre granuleuse couverte de feuilles sombres. Elle titube légèrement et pose un second pied devant elle, une main tendue vers lui. Le bruissement qui s'agite jusqu’à ses oreilles devient entêtant.

"Non..."

Ses doigts tremblants finissent par bouger. Pressés, ils glissent le long de sa jambe, à la recherche de l'ouverture de sa poche. Lorsqu'ils la trouvent enfin, ils se précipitent à l'intérieur jusqu'à caresser une surface froide. Il déglutit. Il en extrait un petit étui de bois. Elle, continue d'avancer.

"Tout va bien, Père..."

"Non..."

Les larmes inondent ses jouent, lavant les éclaboussures sanglantes qui s'y étaient inscrites. Il renifle bruyamment, et son pouce finit par trouver l'encoche métallique qu'il cherchait à grand peine. Délicatement, il déploie la lame du rasoir, les yeux toujours rivés au-dessus de la sombre silhouette qui s'approche avec lenteur. Ses sens sont submergés par quelque chose, par son bruit et sa lumière. Entre le souffle et l'éclat du ciel, ses oreilles perçoivent des murmures qui l'assaillent. Il ne peut retenir un ricanement nerveux.

"Hahaha... Non... haha... Non, non..."

La silhouette chancelle, peinant à rester debout, mais la présence ne cesse de se faire plus forte. Saisissant le manche du rasoir à deux mains, il le serre avec force et soupire. Il se redresse, le regard perdu dans la lumière, et prie une dernière fois.

"Père..."

"AAAAAAAAAAAAAAAAAAA-"

La lame glisse aisément sous sa peau, et traverse sa gorge. Sa main lâche le rasoir. Il s'effondre d'un bloc sur le sol froid de l'allée, hoquetant à la recherche d'air, son corps secoué de spasmes ensanglantés. Son dernier soupir est un râle glougloutant.

La jeune fille se tient immobile à quelques mètres de là. Figée. Épuisée. Ses yeux souriants fixent sans bouger le sol couvert de verdure entre ses mèches blondes engluées. Son sang s'est arrêté de battre. Sa poitrine ne se soulève plus. Son corps est asséché. Une large tâche sombre couvre son torse béant. Les pétales saphirs qui bordent la plaie frémissent, une dernière fois. Au centre du bouquet céruléen, les rayons clairs du rêve traversent son cœur déchiré.

...

...

...

... Où... je suis...

...

... quel temps...

...

... aaaaah...

...

...

... ♬

Enfin...

Quatre-vingt et une années.


"Quatre-vingt et une années ?"

"Oui, c'est cela."

"Vous voulez dire que vous avez attendu depuis..."

Le jeune homme fronce les sourcils derrière les verres teintés de ses lunettes.

"... 1927 ?"

"Mmh... Oui, en effet. C'est la dernière date dont j'ai le souvenir."

"Mais... Qu'est-ce que vous avez fait pendant tout ce temps ?"

"Je suis restée morte, je pense."

"... Hein ?"

"Qu'y a-t-il ?"

"... Eh bien, vous dites encore des choses assez... étranges."

"Oh. Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous mettre encore mal à l'aise."

"Non ça ira, ce n'est rien, ne vous en faites pas. Continuez ?"

La jeune femme lui sourit et repose la théière sur la petite table en fer blanc. Elle repose la tasse remplie de liquide fumant sur la petite soucoupe et la tend à son invité, qui abandonne soudain la mine sérieuse et s'empresse de l'accepter.

"Merci."

"Je vous en prie."

Eliane passe sa main sur les plis de sa robe et se rassoit face à lui. La table est dressée au centre du jardin, sur le petit espace entouré d'arches. L'air doux et parfumé s'ajoute à la saveur du thé et des gâteaux posés sur la nappe. L'atmosphère est légère, tranquille, agitée par un petit souffle frais. La lumière, omniprésente, baigne la scène dans une clarté onirique.

La jeune femme repose la petite cuillère argentée sur la table et, d'un geste mesuré, porte la coupe à ses lèvres.

"Comme je vous le disais, je ne suis pas revenue volontairement."

"Oui. J'imagine que si vous l'aviez voulu, vous auriez fait en sorte de revenir plus tôt que ça..."

La jeune femme rit légèrement. L'homme lui sourit en retour et s'adosse un peu plus confortablement sur sa chaise, remontant d'une main ses lunettes sombres pour les poser sur ses longs cheveux, dégageant un peu plus son visage. Son regard s'attarde malgré lui sur la poitrine de son hôte, ou plutôt, sur l'entaille noire qui dépasse légèrement du col de sa robe. Sa voix douce, néanmoins, le rappelle rapidement à la réalité.

"Quand je vous disais que je suis restée morte, en vérité, je crains que ce ne soit pas tout à fait exact."

"Ah ?"

"Bien sûr. Connaissez-vous beaucoup de morts qui reviennent d'un coup à la vie ?"

"..."

"Quoi qu'il en soit, je reste convaincue que quelque chose m'a tirée de cette torpeur, ce jour là."

"Vous voulez dire, lorsque la Porte de l'Enfer s'est ouverte ?"

"Oui, puisque c'est comme cela que vous l'appelez. Enfin, vous conviendrez que cette appellation est quelque peu inquiétante. Devoir annoncer que je me suis réveillée ici, sur un archipel loin de tout ce que j'ai toujours connu, à une époque qui n'est pas la mienne, le jour de l'ouverture de la Porte des Enfers... Vous admettrez que cela ne me présente pas sous mon plus beau jour, non ?"

"... Oui, vous avez raison..."

"À ce propos d'ailleurs, Monsieur..."

"Vous pouvez m'appeler Marc, vous savez."

"Si vous le souhaitez, mais Marc-Aurélien dans ce cas. Je ne veux pas écorcher le nom que vos parents vous ont offert."

La jeune femme, radieuse, l'observe avec intensité. Marc-Aurélien détourne le regard et déclare forfait avec un soupir.

"Si cela vous fait plaisir. Tant que je me reconnais."

"Parfait !"

Éliane tape doucement dans ses mains, satisfaite.

"Je disais donc, à ce propos, Marc-Aurélien. Comptez-vous encore essayer de me tuer ?"

Le jeune homme, surpris par la question abrupte, avale de travers et recrache soudainement sa gorgée de thé, renversant sur le sol dallé la totalité de sa tasse. Pris d'une quinte de toux, il met quelques secondes à reprendre ses esprits.

"Que... Qu'est-ce qui vous passe par la tête ?!"

"Ne vous inquiétez pas, je ne vous en voudrai pas si vous continuez. Je comprendrais parfaitement que vous vouliez poursuivre votre mission après tout."

La jeune femme le regarde avec un calme olympien, les mains posées sur sa tasse, son léger sourire ne quittant pas son visage. Marc repose sa tasse et sa soucoupe sur la table et saisit une serviette pour éponger le liquide qui a terminé son envol sur ses genoux. Éliane, elle, reste immobile, attentive.

"Non mais... Qu'est-ce qui vous a pris avec cette question ?"

"Mmh ?"

"Je vous l'ai déjà dit, j'ai abandonné ce travail. Et quand bien même je devrais le reprendre un jour, je doute d'en avoir la moindre envie pour le moment."

"Oh... Cela veut dire que vous partez, alors ?"

"Non plus, non..."

"Vous ne voulez pas rentrer chez vous ?"

Le jeune homme soupire et repose le serviette, avant de s'adosser à nouveau sur sa chaise. Silencieux, son regard glisse le long des haies couvertes de fleurs bleutées.

"Pas pour l'instant non."

"..."

"En fait, je pense rester un peu ici. Avec vous. Si ça ne vous dérange pas, bien sûr."

"Vous voulez rester avec moi ?"

"Oui. J'ai besoin d'un peu de temps pour réfléchir à... beaucoup de choses."

"..."

"Qu'y a-t-il ?"

"Monsieur."

"... oui ?"

"Dois-je m'attendre à une déclaration de-"

"Non non non non non, ce n'est pas ça."

À nouveau, le rire léger de la jeune femme emplit le jardin devant l'expression confuse de son invité.

"Bien sûr, vous êtes plus que bienvenu, Marc-Aurélien. Rine sera ravie de vous accueillir lorsque vous voudrez nous rendre visite."

"Merci..."

"J'ai hâte de pouvoir à nouveau converser avec vous."

"..."

"Oh mais il va se faire tard, non ? Je ferais mieux de vous libérer dès maintenant."

La jeune femme se relève prestement et commence rapidement à rassembler les assiettes couvertes de miettes et les couverts éparpillés.

"Oh, et s'il vous vient à l'esprit une autre personne dont je pourrais découvrir le travail, n'hésitez pas non plus à m'en faire part !"

"Euh, oui, bien sûr, comptez sur moi."

"Vous saurez me trouver."

"Pas de problème."

Le bruissement absent du vent et des feuilles cède petit à petit place à d'autres bruits. Ceux du brouhaha des conversations et de la radio qui se font de plus en plus audibles. Derrière lui, les contours de la vitrine du café et les tables occupées autant de silhouettes se dessinent plus clairement. Marc-Aurélien se relève de la banquette sur laquelle il était assis et se tourne vers la jeune femme qui se tient face à lui, les mains jointes sur sa robe, sans quitter le décor de son étrange jardin. Elle s'incline légèrement.

"Bien. Ce fut comme toujours un plaisir, Monsieur."

"Un... plaisir partagé, Mademoiselle. J'espère que... nous nous reverrons bientôt."

"Oh, ne vous inquiétez pas. Vous savez mieux que quiconque que je ne suis jamais loinde toute façon."

"..."

"Faites attention à vous."

L'image du jardin s'efface peu à peu, et avec elle le visage toujours souriant de l'étrange jeune femme.

Au-revoir, Marc.
Joueur

Pseudo : Hlussë
Fiche joueur : Rien ici.
Commentaire : J'espère que ça vous a plu.

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Yoshino Tokugawa
Éliane Éléonore Frédérique Deslys de Bellegarde | Civile [Validée] Tumblr_og32zrHvMO1vj3zbeo1_500
Grade : D
Niveau : 1
Expérience : 70
Yoshino Tokugawa
Gardien



Mer 28 Mar - 17:52
Coucou !

Tu voulais un début d'avis sur le pouvoir, le voici donc !

Je ne vois aucun soucis concernant le don, qui se rapproche des maudits (voir annexes Criminel), bien qu'il faudra expliquer en quelque sorte ce qui l'a sauvé du sort qu'on les maudits en général (ça peut tout simplement être le fait qu'elle ai trouvé une solution pour retarder l'infection et, les Gardiens sont un bon joker aussi !). Pas de soucis pour le lapin également, j'adore l'idée !

Bon courage pour ta fiche !
Éliane Éléonore Frédérique Deslys de Bellegarde | Civile [Validée] 3410090071
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Invité
Invité



Ven 11 Mai - 20:28
Et voilà !

Après moult temps et moult péripéties, cette fiche est à présent terminée et toute à vous. Je vous souhaite donc une bonne lecture et j'espère que vous apprécierez !

À très vite !
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Yoshino Tokugawa
Éliane Éléonore Frédérique Deslys de Bellegarde | Civile [Validée] Tumblr_og32zrHvMO1vj3zbeo1_500
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Yoshino Tokugawa
Gardien



Sam 12 Mai - 21:27
Et me voici ! Alors déjà, enfin ! Enfin ta première fiche sur notre forum ! Mine de rien, tu avais vraiment un blocage sur Hare, vu que tout c'est mieux passé avec Eliane.

J'ai lu et réfléchi tranquillement à ta fiche cet après-midi, pour finalement la finir en paix ce soir. Certes, la lecture était longue, mais ce n'est pas que je m'ennuyais. Disons plutôt que j'aime bien réfléchir en profondeur - en large et en travers - quand le personnage est compliqué et, capable de nous surprendre de tellement de façons. J'attendais beaucoup ta première fiche parce que tu es du genre à avoir un esprit qui fleurit aussi vite que le mien (le mot fleurit est parfait dans ce contexte, soulignons-le). Première surprise, ta plume. J'aime beaucoup ta façon d'écrire, tu sais jouer des mots, des situations, des angles de vue et, tu sais même faire sombrer un récit ou le rendre inquiétant d'une manière brutale, tant du passe d'un moment doux et ensoleillé à un instant sombre et dérangeant.

Tu arrives à expliquer globalement l'origine de ton personnage, tout en gardant une aura de mystère autour, on en voit que la forme, mais pas les contours. Bien évidemment, ce n'est pas un mal. Au contraire. J'ai assez de matières pour que le personnage soit facile à cerner tout en gardant assez de mystère pour le rendre très intriguant. Tu as su jouer des merveilles de la faille, tu as compris qu'elle était là pour permettre ce genre de phénomène. Le pouvoir d'Eliane est intéressant et ne ressemble à aucun autre, ce qui est un petit point en plus pour ton personnage. Le plus intéressant avec ton personnage, ça reste néanmoins que tu peux tourner toute une intrigue autour. En soit, on n'attends pas vraiment une évolution avec Eliane, mais plus des révélations. On veut en savoir plus, on veut comprendre, mais en même temps... On se dit qu'on ferait mieux de ne pas chercher à le découvrir. Sauf qu'on va le faire, inévitablement...

Je ne pense pas que tu auras du mal à te trouver des partenaires (on est pas beaucoup ici, mais on est des gentils tarés, tu le sais). Je vais pour ma part essayer d'accélérer la conception de la fiche de Mikaelis, un lien potentiel étant plus que envisageable.

J'espère avoir réussi à te donner un avis globale de ta fiche, du moins ce que je ressens, et si ça ne te satisfait pas, n'hésite pas à venir me voir sur Discord, qu'on en parle davantage ! Bien évidemment, ta fiche est validée. Je te laisse t'amuser avec toute la paperasse qui arrive après une validation.

Au plaisir de jouer avec toi et de te lire davantage !
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